Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Marc Hecker, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Gérôme Truc, Sidérations. Une sociologie des attentats (Presses universitaires de France, 2016, 344 pages).
Cet ouvrage est tiré d’une thèse de doctorat soutenue à l’École des hautes études en sciences sociales en 2014. Gérôme Truc a cherché à comprendre pourquoi des individus se sentent touchés par des attentats qui ne les ont pourtant pas directement visés. Pour ce faire, il se penche plus spécifiquement sur trois attaques terroristes dont les dates ont marqué le début du xxie siècle : 11 septembre 2001, 11 mars 2004 et 7 juillet 2005. Il analyse les réactions politiques, la couverture médiatique et les témoignages de milliers d’anonymes. L’effet de sidération, explique-t-il, varie en fonction d’un « entrelacs complexe de sentiments impersonnels et personnels ».
On retiendra plus spécifiquement trois points de ce livre. Le premier a trait au poids de la culture politique et historique du pays touché. Les événements du 11 septembre 2001 sont intervenus l’année des commémorations du soixantième anniversaire de Pearl Harbor. Un blockbuster commémoratif était diffusé depuis le mois de mai à travers tous les États-Unis. Ainsi l’effondrement des tours du World Trade Center a-t-il immédiatement été interprété par la population américaine, mais aussi par de nombreux responsables dont George W. Bush, comme un « nouveau Pearl Harbor ». Dès lors, comme en 1941, l’entrée en guerre paraissait inéluctable.
Le deuxième point concerne la résilience des populations face à une attaque. Là encore, la culture nationale a son importance. Au Royaume-Uni, la résistance de la population britannique au moment du Blitz s’est imposée comme une référence après le 7 juillet 2005. Toutefois, la résilience n’est pas seulement affaire de culture et de comparaisons historiques. Elle se travaille et se construit. Depuis l’attentat de Madrid – présenté par de nombreux responsables politiques de pays membres de l’Union européenne comme un « 11 Septembre européen » – les dirigeants britanniques expliquaient que le Royaume-Uni serait visé. Le maire de Londres, notamment, s’évertuait à préparer la population à un attentat perçu comme inéluctable. Et une fois l’attaque survenue, une campagne d’affichage fut entreprise pour tenter de souder les Londoniens dans l’adversité.
Le troisième point relève de la couverture médiatique, qui diffère sensiblement d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Cette différence se remarque particulièrement pour ce qui est des images de victimes. Alors que les attentats du 11 septembre 2001 ont été les plus meurtriers de l’histoire, leurs aspects visuels les plus crus ont été occultés. Et pour cause : la police a empêché la presse de circuler librement sur les lieux des attentats, dans les hôpitaux ou les morgues. À l’inverse, les journalistes ont eu accès à la gare d’Atocha après les attentats de Madrid, et des photographies de cadavres – non floutées – ont été publiées en une des principaux journaux espagnols. Occulter par pudeur ou montrer pour dénoncer : le dilemme se pose aux médias au lendemain de chaque attentat.
D’autres passages de cet ouvrage mériteraient d’être évoqués, notamment ceux qui concernent les manifestations post-attentats ou encore les débats suscités par les minutes de silence. Alors que la France est touchée par une vague de terrorisme sans précédent, la lecture de Sidérations se révèle des plus utiles.
Marc Hecker
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