Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Isabelle Saint-Mézard propose une analyse de l’ouvrage de Teresita Schaffer et Howard Schaffer, India at the Global High Table (Washington D.C., Brookings Institution Press, 2016, 352 pages).
Anciens diplomates, les auteurs apportent dans ce nouvel ouvrage un éclairage particulièrement intéressant sur les pratiques diplomatiques indiennes. La première partie – assez classique – propose une analyse systémique de la politique indienne : les grands principes depuis l’indépendance, les différentes visions que les dirigeants indiens ont de la place de leur pays dans le monde, les mécanismes de la prise de décision en politique étrangère.
Cette partie rappelle que depuis l’indépendance la politique étrangère indienne se caractérise par deux grandes constantes. Elle a toujours cherché à imposer l’Inde comme puissance prédominante dans son environnement immédiat et s’est toujours attachée à tracer une voie singulière – proprement indienne – sur la scène mondiale, sous la forme du non-alignement des années 1950 aux années 1980, ou sous celle de l’autonomie stratégique depuis les années 1990. Troisième principe directeur depuis les années 1990 : faire de la croissance économique un levier de puissance.
Le meilleur de l’ouvrage se trouve dans la deuxième partie, consacrée à l’étude des pratiques de négociation indiennes. En l’espèce, les auteurs analysent ces pratiques surtout au prisme de la relation indo-américaine et de ses divers dossiers (sécurité et défense, nucléaire, économie). Mais les caractéristiques qu’ils décrivent valent pour l’ensemble des relations extérieures indiennes. Les auteurs rappellent ainsi que, quel que soit l’organe partie prenante des négociations – Bureau du Premier ministre, ministères des Affaires étrangères, du Commerce ou de la Défense – les négociateurs indiens sont en sous-effectif. Les décisions sont, elles, prises en lien étroit avec le sommet de la hiérarchie politico-administrative. Par ailleurs, les dossiers classés prioritaires font l’objet d’une préparation très détaillée. Mais ceux considérés comme secondaires accusent d’inévitables retards, « résultat d’un système qui récompense la prudence et “l’absence d’erreurs” plus que l’efficacité ou la prise de risque ».
Concernant le style de négociation indien, les auteurs le décrivent comme un « mélange de noblesse d’esprit et de dureté ». Les négociateurs indiens répugnent ainsi à se trouver dans une position de demandeurs, d’abord parce que cela blesse leur fierté, ensuite parce qu’ils craignent d’être désavantagés s’ils font le premier pas. Autre caractéristique, ils témoignent d’une susceptibilité exacerbée sur les questions de souveraineté, et d’une volonté farouche d’éviter tout engagement qui mettrait le pays dans une situation de dépendance. Ces caractéristiques s’exacerbent en contexte multilatéral où, d’après les auteurs, les Indiens abordent les dossiers sur le registre de la moralité et de l’équité. Ils s’enferment alors dans une position maximaliste, qui conçoit les négociations comme un jeu à somme nulle, et le compromis comme un aveu de faiblesse. Ils peuvent même opposer un « non » catégorique à certains accords, quitte à saborder l’ensemble d’un processus de négociation multilatéral (comme cela fut le cas en 2014, lorsque l’Inde mis en péril les accords conclus à la 9e conférence ministérielle de l’OMC à Bali).
Ouvrage riche et instructif, India at the Global High Table a en somme le grand mérite de montrer combien diplomates et négociateurs indiens sont collectivement imprégnés de la « conviction que l’Inde est unique, et qu’elle peut donc exiger des solutions uniques ».
Isabelle Saint-Mézard
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