Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). François Thuillier propose une analyse de l’ouvrage d’Antoine Garapon et Michel Rosenfeld, Démocraties sous stress. Les défis du terrorisme global (PUF, 2016, 240 pages).
Si, depuis une quinzaine d’années, l’intelligence et le cœur n’avaient pas fait défaut à tant de commentateurs, peut-être n’en serions-nous pas aujourd’hui autant réduits à courir derrière la signification de la terreur. Or c’est peu dire que ni l’une ni l’autre n’ont jamais lâché la main d’Antoine Garapon. Et cela donne à nouveau un ouvrage ciselé et de haute tenue, dans lequel l’accompagne cette fois le professeur américain Michel Rosenfeld.
Certes, comme à peu près sur toute chose, le droit pèse peu sur le terrorisme ; mais ce qui le précède, ou plutôt qui le surplombe, sa philosophie, en produit une des lectures les plus stimulantes. Les auteurs s’attachent ainsi à décortiquer les effets des attentats sur nos vieilles sociétés démocratiques, à la fois dans leur cohésion, leur riposte et finalement le regard qu’elles portent sur elles-mêmes.
Les auteurs soulignent combien le traumatisme de l’attentat signe « la disparition de notre confiance primaire dans le monde ». Le terrorisme n’offre aucune prise à la dialectique et donc à la politique ; c’est pourquoi, lui et l’économie prédatrice « condamnent le pouvoir et les peuples à une rage impuissante », et permettent progressivement à la sécurité d’être le nouveau nom de la politique, face à une justice malmenée mais qui demeure malgré tout exemplaire.
On lit encore que le djihadisme se nourrit de la vacuité de l’offre politique, qu’il remplit par des formes mythifiées de politisation, et que finalement le terrorisme est devenu le « crime de référence » de notre époque, celui qui le fascine tant il exprime ses tourments inconscients. Cette coproduction de l’islam et de la modernité appelle dès lors une question lancinante : « comment rendre justice à ces attentats ? » – les auteurs abordent ici le défi de la justice préemptive. Ainsi que celui des assassinats ciblés par drone, ce funeste miroir que nous tend Daech.
Ainsi, dans la répression du terrorisme, « la matérialité n’est plus exigée, elle qui était pourtant le fondement du droit » ; le fait disparaît au bénéfice des signes qui l’annoncent. Désormais, on s’attache moins à rechercher les causes de certains processus qu’à en neutraliser les effets. Et nous rentrons là dans une justice post-pénale, articulée non plus autour du couple crime/châtiment, mais risque/protection.
Enfin, un rappel est plutôt bienvenu avec l’affaire Korematsu vs. USA, où l’on a vu, en 1942, les États-Unis déporter dans le centre du pays jusqu’à 70 000 Américains d’origine japonaise vivant jusque-là sur la côte ouest, dans la crainte d’un défaut de loyauté. N’a-t-on pas vu depuis le terrorisme lancer dans un même élan la plupart des démocraties occidentales à la poursuite de leur « ennemi potentiel » intérieur ?
Si une critique devait tout de même être apportée à cet essai, ce serait celle d’enterrer trop vite le territoire et pas assez la religion. Les auteurs attestent ainsi un peu prématurément de la disparition des frontières (due à la mondialisation) aux sens westphalien, social et symbolique. Tandis qu’ils surestiment peut-être le rôle de l’islam dans les motivations des djihadistes. Manquent en effet à ceux-ci les deux piliers qui accompagnent une foi sincère : le doute, et le respect intrareligieux dû à tout « craignant Dieu ». Reste que voilà sans doute l’un des ouvrages les plus éclairés écrits sur le sujet depuis des années.
François Thuillier
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