Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Clélie Nallet propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Michel Severino et Jérémy Hajdenberg, Entreprenante Afrique (Odile Jacob, 2016, 288 pages).
Cet ouvrage explore une dynamique entrepreneuriale africaine peu connue, celle des petites et moyennes entreprises (PME) formelles. Jean-Michel Severino et Jérémy Hajdenberg – à la direction d’un fonds d’investissement dédié aux PME africaines – offrent un regard de praticiens expérimentés, nourri d’une riche connaissance des terrains africains. L’approche est empirique, et le sujet novateur.
Si l’entreprenariat africain n’est en rien un phénomène nouveau, le premier tissu de PME africaines apparaît pour sa part tardivement dans les années 1980. Les premières parties de l’ouvrage s’attachent à décrire ces entreprises et leurs entrepreneurs. Des secteurs de l’agro-alimentaire, du bâtiment, du tourisme, à ceux de l’énergie, des nouvelles technologies, de l’éducation et de la santé, le lecteur est invité à suivre différentes aventures entrepreneuriales. Fait appréciable, les difficultés de parcours ne sont pas dissimulées (accès au capital complexe, problèmes liés à la corruption ou au manque d’infrastructures, etc.). On suivra par exemple une PME de produits laitiers, qui fait le pari d’utiliser du lait produit sur place (au lieu d’importer de la poudre de lait), et qui, non sans peine, réussit à structurer toute une filière locale.
Les auteurs se confrontent ensuite à des problématiques plus globales sur les modèles de développement africain et leur avenir. Ils documentent ce qu’ils considèrent comme le tournant africain du siècle dernier : une croissance tirée par une consommation intérieure de plus en plus importante, portée par l’émergence d’une classe moyenne significative. L’entrepreneur est érigé en « héros » de la « croissance autonome », par sa capacité à l’alimenter en fournissant des biens et services adaptés à une demande locale croissante. Il est aussi « le héros de la transformation sociale africaine », de par sa « mission sociale », décrite comme inhérente à la PME africaine. Cette héroïsation de l’entrepreneur est parfois peu convaincante : une PME qui fait preuve d’une « bonne gestion du personnel » étant ici déjà considérée comme « sociale »…
L’ouvrage se clôt sur un plaidoyer en faveur d’un modèle de croissance centré sur un « secteur privé proprement africain ». On sort de sa lecture persuadé que la multiplication des PME telles qu’elles sont décrites serait une bonne nouvelle. Toutefois, le passage du micro au macro est moins convaincant. Si des transformations socio-économiques sont indéniablement en cours, l’ampleur donnée à la dynamique entrepreneuriale et à son rôle dans les économies africaines laisse songeur. Les auteurs sont confrontés à une difficulté très répandue dès qu’il s’agit du continent africain : celle du chiffrage du phénomène – leur certitude quant à son amplification à venir ressemble à un pari.
Ce livre, bien documenté et illustré, n’échappe pourtant pas à certaines généralisations. Le cercle vertueux de la classe moyenne, « à la fois vivier et marché d’entrepreneurs », provoquant automatiquement développement social et démocratie, relève d’une croyance certes répandue mais inexacte empiriquement. Ce cercle vertueux n’a rien d’automatique, et son enclenchement dépend largement des politiques mises en place par la puissance publique, mobilisée (trop) ponctuellement dans ces pages. Le parallèle entre le dictateur et le consommateur, respectivement héros des années 1960 et « nouveau héros africain », peut apparaître quant à lui fâcheux. Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage constitue une contribution fouillée et importante sur les transformations socio-économiques en cours sur le continent.
Clélie Nallet
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