Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Sébastien Boussois et Asif Arif, France-Belgique : la diagonale terroriste (Éditions La Boîte à Pandore, 2016, 228 pages).
Les attentats de 2015 et 2016 en France et en Belgique ont dévoilé l’existence de nombreux liens entre les djihadistes des deux pays. Cet ouvrage se propose d’étudier les filières qui se sont constituées, parfois depuis de nombreuses années. Le juge Marc Trévidic souligne dans sa préface que « des liens étroits et durables se sont noués de longue date dans les milieux radicaux français et belges » – Trappes et Molenbeek ont pu acquérir une notoriété amplifiée par les médias. Il fait ainsi remonter la première filière franco-belge au recrutement pour les camps d’entraînement afghans au milieu des années 1990. Depuis lors, ces filières se sont développées et, après l’Afghanistan d’Al-Qaïda, ont établi des liens avec l’État islamique (EI). Plus généralement, les francophones – français, belges, mais aussi originaires d’Afrique noire ou du Maghreb – jouent un rôle important dans la promotion du djihad, certains occupant des postes de responsabilité dans l’EI. Comment expliquer cette situation ? Comment se sont constituées ces filières francophones ? Comment les services de renseignement et les polices des deux pays coopèrent-ils ? Telles sont les questions auxquelles les deux auteurs s’efforcent de répondre.
Dans une première partie – « La France et le terrorisme, entre réalisme et mythologie » –, Asif Arif fait œuvre utile de clarification. Il souligne à juste titre que l’évident développement du salafisme, c’est-à-dire d’un fondamentalisme religieux, n’implique pas en soi le passage à l’acte terroriste. Il s’élève contre l’utilisation intempestive par les médias du mot djihadiste et apporte là aussi les éclaircissements nécessaires. Il souligne la complexité du phénomène de radicalisation en France et reprend à son compte l’expression de Farhad Khosrokhavar de « radicalisation polycéphale ». Il dresse ce constat en étudiant, l’une après l’autre, les « grandes figures » du terrorisme en France, des membres du gang de Roubaix à la fratrie mortifère des frères Kouachi. Autant de profils et d’explications de la radicalité.
Dans la seconde partie, Sébastien Boussois s’attache à la Belgique – « laboratoire historique de la radicalisation ? ». Le poids de la communauté marocaine – 420 000 personnes – y est d’autant plus fort qu’elle est principalement originaire du Rif, territoire pauvre et longtemps délaissé. Une autre spécificité belge est l’implantation en 1967 à Bruxelles d’un Centre islamique et culturel, construit et financé par l’Arabie Saoudite, qui a été un terreau du djihadisme belge. Le mouvement Sharia4Belgium, fondé en 2010 et dissous en 2014, a également joué un rôle important dans la radicalisation des jeunes. Le cas de Molenbeek, « capitale du Bruxellistan », où plusieurs terroristes belges ou français sont passés, est également évoqué. L’auteur relativise cette appellation, mettant plutôt en lumière l’influence du réseau des mosquées et celui des librairies religieuses du pays. Le caractère fédéral de la Belgique peut expliquer certaines défaillances des autorités. Mais la proximité entre les deux pays a naturellement conduit à une concertation et une coopération étroites entre les polices française et belge.
Ce livre est une contribution utile à l’étude de ce phénomène complexe du terrorisme francophone dont l’existence et le développement ne peuvent s’accommoder d’explications simplistes.
Denis Bauchard
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