Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Emma-Louise Blondes propose une analyse de l’ouvrage de Vincent Nouzille, Erreurs fatales. Comment nos présidents ont failli face au terrorisme (Fayard, 2017, 384 pages).

Erreurs fatales

Cet ouvrage s’attache aux faiblesses de la lutte antiterroriste française depuis les années 1980. Le journaliste Vincent Nouzille se concentre sur le terrorisme puisant son origine dans les espaces musulmans, à l’origine des principales campagnes d’attentats perpétrées sur le sol français depuis 35 ans (1982-1986, 1995 et depuis 2015). L’auteur cherche à démontrer comment, par aveuglement, naïveté ou passivité, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont commis des erreurs qui contribuent à expliquer le climat d’insécurité qui règne actuellement en France. L’ouvrage dénonce l’absence de pilotage de la lutte antiterroriste, les failles du renseignement, le manque de coordination entre les services, les déficiences du volet police-justice, les faux-pas diplomatiques, ainsi que l’indifférence des gouvernements à l’égard de la menace.

Vincent Nouzille déplore que, depuis plus de trois décennies, les services dédiés à la lutte antiterroriste manquent d’objectifs communs et de coordination. D’un côté, les services de renseignement voient leurs agences se multiplier plutôt que se réformer, ce qui limite le partage d’informations et favorise la compétition. De l’autre, le manque de directives communes laisse la justice, la police, les services de renseignement, l’armée et les diplomates opérer de manières indépendantes, et souvent contradictoires. La France mènerait en conséquence une politique antiterroriste ambiguë, qui décrédibiliserait à la fois ses institutions et sa position face à aux organisations terroristes. Erreurs fatales tend à démontrer que le pouvoir exécutif, pourtant conscient des failles du système, n’a jamais instauré une structure cohérente, susceptible de prévenir de futurs attentats.

L’auteur reproche aux chefs de l’État successifs d’avoir engorgé la machine judiciaire par l’accumulation de mesures répressives au lendemain des vagues d’attentats, sans jamais anticiper les évolutions possibles de la menace. De plus, les instances judiciaires ont été isolées du processus de lutte antiterroriste par la réduction de leurs moyens et effectifs, ainsi que par la conduite d’une politique étrangère clandestine. L’auteur souligne le manque de contrôle judiciaire sur certaines mesures de sécurité, telles que les pratiques de surveillance ou les éliminations ciblées.

Enfin, Vincent Nouzille dénonce le déni et l’indifférence de l’exécutif face à la menace terroriste. Nos présidents auraient volontairement ignoré des rapports qui auraient permis d’anticiper les attentats. Il insiste surtout sur l’ignorance de la montée d’un djihadisme « made in France », qui aurait pu être limitée par des mesures de prévention de la radicalisation.

Erreurs fatales montre comment chaque président a privilégié la réaction sur la prévention, en répondant aux attentats par un durcissement de l’arsenal répressif sans que les mesures adoptées aient d’effet dissuasif. Vincent Nouzille peine pourtant à convaincre totalement. Son livre présente un dossier à charge, éclairant une accumu­lation d’erreurs constituant un enchaînement logique conduisant à la dégradation de la situation sécuritaire actuelle. Il omet de prendre en compte la complexité des facteurs de radicalisation, le caractère largement imprévisible des chocs géopolitiques qui ont touché le Moyen-Orient, et la nature évolutive du terrorisme.

Emma-Louise Blondes

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