Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Pascal Lamy et Nicole Gnesotto, Où va le monde ? Le marché ou la force ? (Odile Jacob, 2017, 240 pages).
Dialogue structuré, ce livre fait entendre, et se mêler, deux voix qui auraient pu, a priori, paraître divergentes. L’une, suspecte de privilégier le développement, l’organisation du monde et l’accouchement de la paix par l’échange et l’ouverture, bref le « doux commerce » ; l’autre, plus proche du réalisme des « sécuritaires », soucieuse de ne pas gommer les hiérarchies de puissances politiques et étatiques. Pascal Lamy et Nicole Gnesotto montrent que le chant à deux voix permet à la fois l’affirmation et le dialogue.
Une première partie rappelle les bases des deux approches. L’une, plus géopolitique, dessine un monde où les rapports de forces sont de retour, un monde sans puissance organisatrice, dominante, et destructuré. L’autre relève que les principaux conflits se développent dans les zones les moins intégrées à l’économie mondiale des échanges : ce n’est donc pas l’ouverture qu’il faut repenser, mais la production de la justice sociale.
La deuxième partie se présente comme un panorama synthétique des acteurs et des enjeux du monde actuel. Dans cette partie très riche, on notera les développements sur la Russie (à la fois faible et forte), sur les Afriques (ô combien diverses), sur le Moyen-Orient (juxtaposition d’acteurs faits d’États trop forts et de nations trop faibles), ou sur l’importance des espaces maritimes (enjeux majeurs trop délaissés par la France). Sur le problème de la gouvernance globale, le constat est lucide : les structures n’ont pas suivi les bouleversements du monde ; et quand les Occidentaux souhaitent associer « les autres » à l’action internationale, ils les veulent dans leurs institutions, suivant leurs logiques et leurs normes.
On attendait bien sûr les auteurs sur le thème de leur troisième et dernière partie : où est, que fait, l’Europe dans ce monde-là ? La conjoncture actuelle suggère de distinguer l’adhésion à l’idée européenne de la plupart des opinions du Vieux Continent, de leur critique, de plus en plus large, de la manière dont elle est gouvernée. Pour récupérer une adhésion pleine et entière, il faut sans doute rappeler sans cesse les acquis, les bienfaits de la construction européenne (trop souvent pris en otage par les caricatures électoralistes), et remettre l’Union européenne sur de bons rails idéologiques, l’emmenant vers de bonnes décisions politiques. Réaffirmer le sens de la construction européenne, c’est aujourd’hui dire qu’elle peut être à la manœuvre pour « civiliser » la mondialisation – un objectif quelque peu oublié ces deux dernières décennies. C’est aussi, sans doute, repenser cette Europe dans le monde réel, un monde où manœuvrent et s’entrechoquent de vraies forces, pas seulement à la recherche de l’influence douce, post-nationale (post-machiavélienne serait-on tenté de dire…) qu’a privilégiée l’idéologie européiste.
Le mirage d’une Europe-puissance régentant le monde ressemble trop à un fantasme français pour séduire au-delà de l’Hexagone. Mais l’illusion d’une Europe-modèle entraînant le monde vers la paix par sa seule influence (et des chèques de moins en moins approvisionnés) doit être dépassée.
On est heureux d’acquiescer aux perspectives, à la fois généreuses et réalistes, des deux auteurs qui laissent pourtant ouvert le thème d’un possible second tome : quel accord est possible entre Européens – ou entre quels Européens – sur ces options éminemment politiques ?
Dominique David
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