Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Samy Cohen propose une analyse de l’ouvrage de Itamar Rabinovitch, Yitzhak Rabin: Soldier, Leader, Statesman (Yale University Press, 2017, 376 pages).

Yitzhak Rabin

Yitzhak Rabin n’était pas un personnage charismatique comme David Ben Gourion ou Menahem Begin. Il ne fut pas moins un visionnaire qui comprit dès 1992 qu’Israël ne pouvait pas continuer à dominer indéfiniment un autre peuple sans perdre son caractère démocratique. Il surprit : rien ne le prédestinait à prendre cette voie, lui le Sabra coriace, le vainqueur de la guerre des Six Jours, l’implacable ministre de la Défense qui réprima durement l’intifada de 1987. Il ouvrit courageusement une ère nouvelle pour son pays et le paya de sa vie, assassiné par un colon extrémiste le 4 novembre 1995.

À cet homme au destin peu ordinaire Itamar Rabinovich consacre une biographie tout en finesse et bien ­documentée. Et pour cause. Il fut proche de Rabin qui le nomma, en 1993, ambassadeur d’Israël à Washington et chef négociateur avec la Syrie d’Hafez Al-Assad. Rabinovich retrace le parcours de Rabin depuis sa naissance à Jérusalem en 1922 et son engagement dans la Haganah pendant la guerre d’indépendance, où il fut nommé à 26 ans chef de brigade. Cet officier timide accéda au poste de chef d’état-major en 1963, non sans difficultés d’ailleurs, ses rapports avec Ben Gourion et Golda Meir n’étant pas excellents. Les succès militaires remportés en juin 1967 lui valurent une immense estime des Israéliens. Il obtiendra le poste d’ambassadeur à Washington.

La démission de Golda Meir en 1974 le propulsa à la tête du gouvernement. Mais le bilan de cette première expérience de Premier ministre ne fut pas brillant. Il peina à s’imposer dans l’opinion et dans son parti. Rabinovich montre notamment son indécision face à la montée en puissance des colons religieux, qu’il exécrait pourtant. Les jeux de coalition politiques le placèrent à la tête du ministère de la Défense, où il officia plusieurs années, construisant sa réputation de « Monsieur sécurité ».

Le chapitre consacré aux accords d’Oslo, sans doute le plus important, révèle un Rabin « ambivalent par nature » et toujours méfiant à l’égard de Shimon Peres, son vieux rival. Un fait intéressant est rapporté : à l’origine, les accords intérimaires devaient être signés à la Maison-Blanche par les ministres des Affaires étrangères, et c’est notamment pour éviter que son rival ne récolte seul les lauriers de cette « percée » que Rabin décida de s’y rendre, au grand dam de Peres qui pensa un moment annuler sa participation à la cérémonie.

Itamar Rabinovich analyse en épilogue les séquelles de la mort violente de Rabin. Le Likoud, son chef Benyamin Netanyahou en tête, n’aura de cesse de minimiser son œuvre et de lui faire porter la responsabilité de l’attaque de l’Altalena, ce bateau qui en 1948 transportait des armes pour l’Irgoun. Ben Gourion avait ordonné de le couler pour éviter un phénomène de milices échappant au contrôle du pouvoir politique. L’unité chargée de cette tâche n’était autre que celle d’un jeune capitaine du nom de Rabin.

L’auteur tient à souligner, en conclusion, que Rabin n’était pas un « leader colombe », que son souci majeur était celui de la sécurité d’Israël, un objectif qui ne pouvait toutefois être atteint que par la paix. Certes, mais les grands « leaders colombes » de la gauche sioniste (comme Aryeh Eliav, Matti Peled, Uri Avnery, et bien d’autres) militaient depuis 1967 dans le même esprit. Paradoxalement c’est lui, et nul autre, que le camp de la paix a choisi comme icône.

Samy Cohen

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