Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Walter A. McDougall, The Tragedy of U.S. Foreign Policy: How America’s Civil Religion Betrayed the National Interest (Yale University Press, 2016, 424 pages).

The Tragedy of US Foreign Policy

Professeur d’histoire et de relations internationales à l’université de Pennsylvanie, Walter McDougall a reçu le prix Pulitzer en 1986 pour son « histoire-politique » de la conquête spatiale. Il propose ici une relecture de la politique étrangère américaine sous l’angle de ce qu’il nomme la « religion civile américaine » (RCA). Le concept de religion civile, venu de Rousseau, a été appliqué aux États-Unis par Robert Bell, dans un article de la revue Daedalus en 1967.

Walter McDougall reprend les éléments religieux mis en avant par tous les dirigeants américains depuis George Washington, pour voir comment ces fondements protestants ont influencé la diplomatie du pays. Il distingue plusieurs périodes auxquelles, pour renforcer son propos, il attribue des noms issus de la théologie chrétienne (l’église « civile » est successivement expectante, militante, agoniste et triomphante).

Avec Washington et ses successeurs immédiats tel John Quincy Adams, la religion civile américaine est « classique » : la naissance des États-Unis correspond à un projet divin. Responsables du succès de ce plan, les dirigeants américains doivent ­rester prudents en matière de politique étrangère, comme le recommandent le discours d’adieu de Washington (1796), puis la doctrine Monroe (1823). Cette attitude se prolonge au lendemain de la guerre de Sécession. L’expansion vers l’Ouest est alors un autre ­facteur d’isolationnisme, constitutif d’une RCA « néo-classique ». L’auteur s’oppose ici à Robert Kagan, qui avait tenté de démontrer l’implication ­internationale des jeunes États-Unis dans son ouvrage Dangerous Nation de 2006.

La RCA « progressiste » apparaît dans les années 1890. Les ­progressistes pensent désormais que les États-Unis ont un devoir moral et religieux d’exporter la démocratie américaine. Ils sont soutenus par les intérêts économiques, qui souhaitent protéger les exportations par une marine forte et des bases militaires à l’étranger. Le ­déclencheur, sous McKinley, est l’insurrection cubaine contre l’Espagne. Le pic en est la participation des États-Unis à la Première Guerre mondiale sous Wilson. Ce dernier ne parvient pas à faire voter le Sénat en faveur de la Société des Nations, ce qui inaugure une période de repli à partir des années 1920 et jusqu’en 1947 (Walter McDougall considère en effet que la participation des États-Unis à la Seconde Guerre mondiale s’est faite à contrecœur).

La guerre froide et la lutte contre le communisme athée voient l’apogée de la mission religieuse des États-Unis dans le monde, avec les présidents Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson. Seul Nixon, aidé de son conseiller réaliste Kissinger, tente de limiter les engagements extérieurs du pays. Il sera d’ailleurs évacué par les élites à la faveur du scandale du Watergate. Reagan est le plus grand président de cette période de RCA « néo-progressiste ». Avec la chute de l’Union soviétique, on peut croire que la religion civile américaine va désormais s’exporter dans le monde entier. Le 11 Septembre sonne le glas de cette espérance.

Comme on le devine au titre de l’ouvrage, McDougall est très critique de l’interventionnisme ­américain de l’après-guerre. Vétéran de la guerre du Vietnam, il adopte des positions plus réalistes. Son ouvrage, qui paraît alors que les États-Unis viennent d’élire un président partisan d’un repli nationaliste, prend le contre-pied d’analyses plus positives de l’exceptionnalisme américain, comme l’ouvrage de Walter R. Mead, Special Providence, paru en 2002.

Laurence Nardon

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