Auteur de l’article « Élections allemandes : le jour d’après » paru dans le numéro d’automne de Politique étrangère (3/2017), Hans Stark, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, répond à 3 questions en exclusivité pour politique-etrangere.com à quelques jours du scrutin allemand du 24 septembre.
1) La réélection d’Angela Merkel ne fait guère de doutes.
Comment expliquer la longévité de la chancelière allemande ?
La longévité politique d’Angela Merkel s’explique par de nombreux facteurs. La situation économique est jugée globalement bonne par les électeurs malgré une précarité persistante qui touche près d’un Allemand sur cinq. Merkel domine largement son propre parti dont elle assure la présidence depuis 2002 et a su écarter tous ses rivaux potentiels après son arrivée à la chancellerie. Par ailleurs, dans le passé, presque tous les chanceliers de la République fédérale ont profité d’une image favorable, ce que les Allemands appellent un « bonus de gouvernement », d’où la longévité d’Adenauer et de Kohl, voire de Schmidt et de Schröder. Aussi Merkel a-t-elle bénéficié d’un large soutien auprès des Allemands depuis 2005, à l’exception des années 2015 et 2016, pendant la crise migratoire qui a semblé lui échapper.
Enfin, après le Brexit et la victoire de Trump, elle rassure les électeurs dans un monde de plus en plus instable et s’est ouverte aux électeurs du centre-gauche par un certain nombre de décisions peu en phase avec l’idéologie politique de son propre parti, comme la sortie du nucléaire décidée en 2011, l’accueil des réfugiés en 2015 ou l’introduction du mariage pour tous en 2017. Toutefois, force est aussi de constater qu’une minorité non négligeable d’Allemands, notamment de l’Est, s’opposent vivement à Merkel et exigent son départ.
2) Angela Merkel devra constituer une coalition pour gouverner.
Quels scénarios peut-on envisager ?
D’après les derniers sondages qui rendent une coalition de centre/droite (donc CDU-CSU/FDP) peu probable faute de majorité au Parlement, deux coalitions semblent envisageables. La première réunirait la CDU-CSU, les libéraux du FDP et les Verts. Cette constellation n’est pas inconcevable, mais se heurte à deux obstacles. Elle n’a jamais existé à l’échelle nationale et elle suscite des remous au sein de la CSU, du FDP et des Verts qui s’entendent tous les trois avec Merkel, mais pas entre eux. Sur les questions économiques et sociales, tout oppose les Verts et le FDP. De même, sur les questions migratoires, qui ont fait leur retour dans le débat électoral allemand à la veille des élections, la CSU, le FDP et les Verts ne partagent pas du tout les mêmes conceptions. Une coalition « jamaïcaine » sera donc difficile à réaliser.
La deuxième coalition est celle qui est actuellement au pouvoir. Mais le SPD, s’il essuie une défaite trop lourde, y réfléchira par deux fois au moins. Car les grandes coalitions l’affaiblissent et elles profitent aux extrêmes. D’où la montée de l’AfD qui pourrait, avec un score à deux chiffres, devenir le troisième parti d’Allemagne et incarner l’opposition au Bundestag si le SPD entre de nouveau au gouvernement. Un scénario que beaucoup de sociaux-démocrates pourraient vouloir éviter, malgré l’attrait du pouvoir (et des privilèges qui l’accompagnent). Enfin, seul un passage dans l’opposition permettra au SPD de retrouver sa base électorale et de constituer, à terme, un programme commun avec Die Linke et les Verts en vue des élections de 2021. Une telle perspective pourrait amener les sociaux-démocrates à dire non à la chancelière qui sortirait alors certes victorieuse des élections de 2017 mais en grande difficulté pour former un gouvernement.
3) Quel impact sur la relation franco-allemande ces élections peuvent-elles avoir ?
Angela Merkel s’est ouverte aux propositions d’Emmanuel Macron quant aux changements que ce dernier propose pour la zone euro. C’est une bonne nouvelle pour le couple franco-allemand. Mais la réalisation de ces desseins a plus de chances de réussir si le SPD, qui a fait de la relance européenne un des points centraux de son programme politique, se maintient au pouvoir. Le FDP en revanche, même s’il ne s’agit pas d’un parti eurosceptique mais au contraire d’un parti pro-européen et pro-occidental, est traditionnellement très hostile au pilotage politique de l’économie, que ce soit à l’échelle nationale ou bien au niveau européen. Il partage ainsi l’hostilité de l’AfD contre des politiques de soutien financier aux pays du sud de l’UE ou des politiques de relance de l’économie par le biais d’investissements politiques (surtout s’ils sont financés en grande partie par l’Allemagne).
Dans une coalition avec le FDP, la politique d’austérité sera sans doute maintenue tout comme la politique de soutien aux exportations – ce qui n’est pas dans l’intérêt de ceux qui prônent une Allemagne plus « solidaire ». Enfin, plus l’AfD sera forte, plus le FDP et même la CDU-CSU se verront contraints de faire valoir les intérêts allemands au sein de l’eurozone et de l’UE. L’entrée au Bundestag de l’AfD, notamment si cette dernière dépasse le score des trois autres « petits » partis, va changer la donne politique en Allemagne.
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