Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Morgan Larhant propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Marc de La Sablière, Indispensable ONU (Plon, 2017, 288 pages).
Souvent décriée, rarement admirée, l’Organisation des Nations unies (ONU) est le plus souvent ignorée. Au-delà de l’image coutumière du fer à cheval du Conseil de sécurité qui s’invite périodiquement sur nos téléviseurs, rares sont ceux qui connaissent cette organisation. Plus rares encore ceux qui cherchent à la faire comprendre.
Qui mieux qu’un ancien ambassadeur de France auprès de l’ONU, témoin direct du labyrinthe onusien depuis sa première affectation à New York au début des années 1980 aurait pu montrer l’organisation telle qu’elle est, dans ses échecs et ses succès ?
La lecture de cet ouvrage, simple d’accès et structuré en huit chapitres aussi précis que didactiques, nous fait ainsi entrer dans le fonctionnement concret de l’ONU. De l’action du Conseil de sécurité pour « éviter les guerres » à l’œuvre normative d’universalisation des droits de l’homme, de l’assistance humanitaire dépêchée aux quatre coins du monde aux mille détails de notre vie quotidienne réglés par une galaxie d’institutions spécialisées, l’ONU apparaît comme le lieu de toutes les frustrations, mais également comme celui de tous les progrès.
Le chapitre consacré au développement et à la lutte contre les changements climatiques mérite à cet égard d’être souligné, car si « 40 ans après la vague de décolonisation l’échec [de la politique de développement] est collectif », les avancées réalisées depuis le sommet du millénaire de l’an 2000, et le « grand succès » que constitue la COP21, montrent la nature profonde de cette organisation : une enceinte où « on ne “renverse pas la table” ; mais on peut y creuser un sillon ».
Ce bilan critique de 70 années suffit-il à justifier le titre de l’ouvrage ? Assurément non et c’est là l’autre intérêt de la présentation faite par celui qui est devenu ces dernières années un enseignant de l’organisation. L’ONU est indispensable car elle a su sans cesse s’adapter, pousser plus loin le champ du droit international, comme avec le développement du concept de la « responsabilité de protéger ». Elle est indispensable, car elle sait dans les grandes occasions se transcender, « toucher les peuples » et, comme le disait Adlai Stevenson lors de la crise des missiles de Cuba, « devenir ce tribunal de l’opinion publique» internationale. Elle est indispensable parce qu’elle seule réunit trois attributs consubstantiels à toute régulation internationale : l’universalité, la légitimité et le temps long. Elle est indispensable, enfin, parce que son existence même force les États à s’auto-discipliner, à introduire de la retenue dans une « société internationale » qui n’est jamais vraiment sortie de l’état de nature.
Certes l’ONU peut être décevante, son fonctionnement suranné, sa bureaucratie étouffante. Le chapitre consacré à sa réforme aurait d’ailleurs pu davantage approfondir la question essentielle des finances de l’organisation. Mais, comme le note très justement l’auteur, « il ne faut pas demander à l’ONU d’être un gouvernement du monde, étroitement uni par un projet commun de société ». Celui qui « derrière ses lunettes en écaille » a assisté aux premières loges au discours de Dominique de Villepin contre la guerre en Irak sait que l’ONU est indispensable simplement parce qu’elle est. Et cette seule existence est, en soi, un « bien commun trop précieux pour que nous n’ayons pas l’ambition de le défendre et de le réformer ».
Morgan Larhant
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