Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Frédéric Charillon propose une analyse de l’ouvrage de Béatrice Giblin, Le Paradoxe français. Entre fierté nationale et hantise du déclin (Armand Colin, 2017, 208 pages).
Pourquoi la France oscille-t-elle à ce point entre fierté – certains disent arrogance – et pessimisme, jusqu’à l’obsession décliniste ? Béatrice Giblin, géographe et directrice de la revue Hérodote, répond par autant de chapitres constituant, selon elle, des éléments de cette réponse.
L’histoire d’abord, glorieuse mais lourde. Avec ses racines chrétiennes, productrices de tensions à rebondissement entre le pouvoir politique et l’Église, faites d’alliances et de ruptures. Il en ressort une identité à la fois profondément catholique, mais mal assumée comme telle dans ce pays inventeur du mot « laïc ». La démographie ensuite, lorsque les Français se mirent à faire moins d’enfants, puis accordèrent la nationalité française aux enfants d’immigrés. La France pèse aujourd’hui moins lourd que l’Allemagne, même si sa démographie est redevenue plus dynamique. Le territoire aussi, ce mille-feuille que l’on n’ose à peine rationaliser : est-il d’ailleurs si irrationnel que cela ? Faut-il toucher à ce qui fait l’attachement local ? La France est-elle vraiment plus morcelée que d’autres pays ? Fallait-il vraiment imposer la disparition administrative de l’Auvergne et de l’Alsace (le « Grand Est ») pour entrer dans la mondialisation ? Ne faut-il pas plutôt redonner une esthétique à des campagnes rongées par les zones commerciales ? Le rapport à l’immigration évidemment, avec ses tabous, du droit du sol à l’« intégration » : une immigration devenue synonyme de débat sur l’islam, dans un pays dont le lien avec le Maghreb reste particulièrement fort. La puissance, bien sûr, que l’on rêve élevée mais à moyens déclinants, avec une armée qui fit trembler l’Europe avant de connaître les défaites de la seconde moitié du XXe siècle (1940, Dien Bien Phu), et dont le format se réduit désormais, non sans faire polémique. Le rapport à l’Europe enfin, relancé après la victoire d’Emmanuel Macron, mais qui ne doit pas faire oublier que les candidats eurosceptiques ou euro-hostiles ont totalisé près des deux tiers des votes de l’électorat au premier tour. Tout cela remet en question l’universalisme proclamé d’une nation qui se veut toujours exceptionnelle.
Loin des essais déclinistes à la mode, ce travail reprend plutôt les interrogations d’historiens, comme Robert Frank et sa « hantise du déclin » (Belin, 2014), et s’inscrit dans un moment marqué par la quête d’une ligne, d’une politique. Un président élu en promettant de renouer avec le gaullo-mitterrandisme, suspecté de geste bonapartienne lors de son investiture, mais qui pourfend les nationalismes et fait du multilatéralisme le nouvel universalisme. Le tout après une campagne où, on s’en souvient, les voix traditionnalistes – conservatrices en tout cas – se sont fait entendre puissamment. Derrière le paradoxe et les questions sur l’identité, c’est l’interrogation sur la France dans le monde, sur son message, sa vitalité et ses moyens, qui se dessine. Derrière les polémiques sur le territoire, c’est aussi l’avenir d’un pays très stato-centré, dans un monde en réseau qui est en cause ; d’un pays laïc dans un monde de retour des religions ; d’une puissance moyenne dans un monde de géants (ré)émergents.
Frédéric Charillon
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