Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Anders Aslund et Simeon Djankov, Europe’s Growth Challenge (Oxford University Press, 2017, 232 pages).

Cet ouvrage présente un état des lieux assez alarmiste de la situation économique et financière de l’Union européenne (UE), et propose une série de réformes destinées à stimuler la croissance et à restaurer la compétitivité du Vieux Continent. S’appuyant à maintes reprises sur les indices de liberté économique du Fraser Institute ainsi que sur les indicateurs Doing Business (dont Djankov est l’un des pères), les auteurs montrent que l’Europe a été progressivement distancée par les États-Unis en matière de recherche et développement (R&D), de qualité de l’enseignement supérieur, et plus largement de performances économiques.

Chapitre après chapitre, Aslund et Djankov établissent leurs diagnostics en passant en revue les racines profondes du déclin européen depuis les années 1980. L’État-providence est encore obèse dans les économies méditerranéennes : les dépenses sociales y demeurent excessives et les réformes des systèmes de retraite sont timides. Le taux d’employabilité et la mobilité des travailleurs sont trop faibles, tandis que la formation professionnelle continue d’être négligée par nombre d’États. De leur côté, les universités européennes, politisées et sans véritable autonomie, pâtissent d’un manque d’ouverture sur le monde de l’entreprise. Enfin, le financement des start-ups s’avère insuffisant face au rival américain, en partie à cause d’une fiscalité qui décourage l’entrepreneuriat. Quelques pays trouvent grâce aux yeux des auteurs : le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark et l’Allemagne pour leur plein-emploi, atteint en flexibilisant le marché du travail ; les Pays-Bas pour leur système de retraite équilibré et pérenne ; l’Estonie pour son taux unique d’impôt sur le revenu ; et la Suède pour son courage à refondre son État-providence dans les années 1990.

Sans surprise, les principales recom­mandations sont ouvertement libérales : plafonnement des dépenses publiques et des dépenses de retraite à respectivement 42 % et 8 % du PIB ; ouverture d’un grand marché européen des services et du commerce digital qui irait bien plus loin que la directive de 2006 ; réduction draconienne du nombre des professions réglementées ; développement de l’apprentissage sur le modèle germa­nique ; accroissement du taux d’employabilité des femmes ; instau­ration d’un système fiscal favorisant la R&D et privatisation des grands groupes publics du secteur de l’énergie.

En dépit de sa remarquable concision et de sa clarté, le livre laisse un léger goût d’inachevé. D’une part, il occulte le contexte actuel de montée des populismes en Europe. Or il est évident que les réformes préconisées (en particulier la réduction du périmètre d’action de l’État) sont plus délicates à conduire aujourd’hui que dans les années 1990 ou 2000. Les dirigeants politiques devront donc faire preuve de beaucoup de pédagogie. D’autre part, la feuille de route d’Aslund et Djankov apparaît exclusivement tournée vers l’offre. Le retour de la croissance en Europe exige pourtant une amélioration du pouvoir d’achat des classes populaire et moyenne, via par exemple, un rééchelonnement de certaines dettes privées et un plan d’investissement massif dans le secteur immobilier qui viendrait abaisser le coût du logement.

Norbert Gaillard

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