Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Céline Pajon, chercheur au Centre Asie de l’Ifri et spécialiste du Japon, propose une analyse de l’ouvrage d’Andrew L. Oros, Japan’s Security Renaissance: New Policies and Politics for the Twenty-First Century (Columbia University Press, 2017, 272 pages).

Le nouvel ouvrage d’Andrew Oros, spécialiste de la politique de défense nippone à l’université de Washington, approfondit et actualise son travail de référence sur l’articulation entre identité nationale et politique de sécurité au Japon (Normalizing Japan: Politics, Identity and the Evolution of Security Practice, Stanford University Press, 2008). Établissant un parallèle discutable avec la renaissance européenne, il affirme que la politique de défense japonaise est entrée dans une nouvelle ère, celle d’une expansion résolue, basée sur un consensus politique large et justifiée par un environnement sécuritaire de plus en plus menaçant. Elle serait toutefois limitée par trois pesanteurs fortes : une mémoire de la guerre contestée, un antimilitarisme fortement enraciné, et une relation étroite et asymétrique avec l’allié américain.

Retraçant les étapes qui ont conduit ces dix dernières années à une redéfinition de la politique de défense nippone, l’auteur met en évidence la contribution, souvent négligée, du Parti démocrate japonais (PDJ), qui a offert au Japon une exceptionnelle période d’alternance politique de 2009 à 2012. Le PDJ a notamment sonné le glas de la posture de défense héritée de la guerre froide, mettant en place des forces plus mobiles, plus dissuasives mais aussi plus aptes à intervenir dans des opérations internationales. Andrew Oros revient ensuite en détail sur la série de décisions prises par Shinzo Abe depuis son retour à la tête de l’exécutif fin 2012, pour doter le pays d’une stratégie et d’institutions visant à renforcer la sécurité nationale. Les normes antimilitaristes sont assouplies : une augmentation modeste du budget de la défense (+ 5 % d’ici 2020) est annoncée ; le principe de non-exportation d’équipements et technologies de défense est quasi abandonné ; et, en 2015, une batterie de réformes autorisant notamment l’exercice de l’autodéfense collective et élargissant le champ d’action géographique et opérationnel des Forces d’autodéfense (FAD) est adoptée.

Andrew Oros offre toutefois une conclusion prudente. Pour lui, la « renaissance » de la politique de sécurité japonaise restera dans une large mesure limitée par les trois pesanteurs précitées. Le révisionnisme historique continue à nourrir la suspicion d’une résurgence militariste. Le pacifisme de l’opinion publique, notamment des nouvelles générations, reste un frein pour de futures réformes. Et la dépendance vis-à-vis de l’allié américain ne peut que se pérenniser tout en nourrissant des frustrations latentes.

Si la politique de défense japonaise est entrée dans une nouvelle ère, elle ne s’est pas émancipée de son passé. L’éventualité pour le Japon de se doter d’une capacité offensive est aujourd’hui discutée, même si elle reste très controversée. Dans le même temps, la décision de retirer les FAD du Sud-Soudan en mai dernier, a montré que les Japonais n’étaient pas prêts à exposer leurs troupes au risque. Au-delà, se pose la question du leader­ship politique post-Abe. Enfin, le Japon, société post-industrielle vieillissante, n’a ni les moyens, ni l’ambition de se lancer dans une remilitarisation galopante. Seule une atteinte grave à sa sécurité (frappe, invasion, fin de l’alliance avec les États-Unis) pourrait conduire l’archipel à transformer une nouvelle fois en profondeur sa posture de défense.

Céline Pajon

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