Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Jonathan Renshon, Fighting for Status: Hierarchy and Conflict in World Politics (Princeton University Press, 2017, 328 pages).

Jonathan Renshon s’attache à préciser les contours, à analyser la dynamique de la notion de statut en matière de relations internationales, avec un solide travail de recherche faisant appel à des lectures exhaustives et à des études expérimentales, menées sur des sujets de choix. À la différence des échantillons classiques, le pool d’expérimentation testé par Renshon comprend en effet des responsables politiques et militaires conduits à suivre les cours de la Kennedy School of Governement de Harvard. Ce qui justifie un examen minutieux des résultats consignés au chapitre 3 de l’ouvrage, qui traite entre autres des facteurs d’exacerbation des préoccupations statutaires.

Atout additionnel : le recours à l’analyse de réseau pour déterminer le rang communautaire que s’attribuent les États-nations, depuis les plus puissants jusqu’aux plus modestes. Fighting for Status met ainsi en évidence l’existence de hiérarchies complexes, faisant appel à différentes communautés « locales » de référence, et non à un ensemble global, ordonnancé de manière linéaire. S’agissant de l’hypothèse centrale, l’ouvrage de Renshon identifie les variations d’insatisfaction statutaire – produits du décalage entre le rang qu’un État s’estime mériter et celui que lui attribuent les autres membres de la communauté internationale – comme déclencheur de conflits récurrents. Avec cette nuance que les guerres y sont appréhendées non comme des manifestations de frustration et d’instabilité (syndrome Guillaume II), mais comme des instruments rationnels visant à modifier les évaluations des États-témoins.

Côté cas d’étude historique, l’ouvrage sollicite un échantillon restreint, ce qui est dommage. Le chapitre 6 traite de la Weltpolitik menée par l’Allemagne entre 1897 et 1911. Le suivant évoque le soutien de la Russie à la Serbie dans la crise de juillet 1914, la réaction de la Grande-Bretagne après la nationalisation du canal de Suez (juillet 1956), ainsi que les déterminants ayant conduit Nasser à lancer l’Égypte dans la guerre civile yéménite (1962). Le travail de reconstitution des choix effectués par les grands décideurs est sérieux et convaincant. Même si la présentation manque parfois de limpidité, les parties du texte qui analysent les préoccupations de prestige et de statut de tel ou tel grand décideur, ainsi que les perceptions de ses interlocuteurs diplomatiques, apparaissent hautement éclairantes.

S’agissant des enseignements à retenir, on notera surtout que l’auteur se dissocie de Robert Jervis, en ce sens qu’il réfute la thèse selon laquelle les considérations statutaires occuperaient une place déclinante dans les relations interétatiques. Autres points abordés: l’impact durable des humiliations publiques, génératrices de poussées sur-compensatoires; la variabilité des sources de statut (les colonies au XIXe siècle, l’arme nucléaire et la démocratie depuis 1945) ; le lien entre la composition des groupes de référence et la sélection d’événements « statu-morphes » (violence/non-violence), susceptibles de déclencher les réévaluations recherchées. Question finale à creuser : quels bénéfices tangibles et durables un État retire-t-il de ses manœuvres de rééquilibrage statutaire ? Fighting for Status livre à ce sujet un très petit nombre d’illustrations. Puisse l’auteur nous en apprendre davantage dans ses prochains travaux.

Jérôme Marchand

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