Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir l’article du numéro de printemps 2018 que vous avez choisi d'(é)lire : « L’Égypte du général Sissi, entre réaction et aspirations révolutionnaires », écrit par Chloé Berger, docteur en science politique de l’université Paris-2 Panthéon-Assas et rattachée à la faculté du Moyen-Orient au Collège de Défense de l’OTAN à Rome.

Sept ans après la révolution du 25 janvier 2011, la situation égyptienne apparaît très contrastée. L’enthousiasme suscité par l’arrivée au pouvoir du général Sissi en juillet 2013 a fait place à une sorte de désenchantement généralisé. La « Sissimania » a fait long feu. En dépit de ses promesses, le président égyptien n’a pas réussi à améliorer les conditions de vie de la population. Au contraire, la situation économique et sociale n’a jamais été aussi mauvaise. Au niveau sécuritaire, la menace des groupes djihadistes, au départ confinée au nord du Sinaï, s’est progressivement étendue au reste du pays. Au cours de ces deux dernières années, Le Caire et Alexandrie ont été les théâtres réguliers d’attentats particulièrement meurtriers. La situation sécuritaire s’est également dégradée dans la zone frontalière avec la Libye.

Dans un tel contexte, la réaction autoritaire qu’incarne le régime de Sissi est d’autant moins tolérée que les Égyptiens sont éreintés par les réformes économiques. Les critiques sont légion, même dans les cercles habituellement favorables au pouvoir comme l’ont montré les candidatures de l’ancien chef d’État-major Sami Anan et du général Shafiq à l’élection présidentielle de 2018. Même si ce scrutin devrait voir, sans grande surprise, la réélection d’Abdel Fattah Al-Sissi – le régime ayant découragé les rivaux potentiels –, il n’en constitue pas moins un test. Incapables de faire entendre leurs voix, certaines forces politiques égyptiennes ont déjà annoncé leur intention de boycotter l’échéance électorale. Sans geste de bonne volonté de la part du pouvoir, ni amélioration réelle des conditions de vie, la contestation pourrait rapidement prendre de l’ampleur.

Des déséquilibres structurels persistants

La situation économique n’a cessé de se dégrader depuis 2015. Loin de corriger les inégalités, la politique de grands travaux du général Sissi n’a fait qu’accentuer les dysfonctionnements hérités de la période précédente. En cinq ans, les dépenses publiques ont été multipliées par deux, et la dette publique dépasse désormais les 95 % du PIB. Or ces dépenses ont surtout servi à financer les frais de fonctionnement d’un secteur étatique peu efficace et grevé d’une masse salariale pléthorique. Seule une part résiduelle a été consacrée à des investissements publics (10 % en 2015). La politique de grands projets, à l’image du complexe portuaire de Suez ou de la nouvelle capitale, a certes contribué à l’amélioration de la situation macro-économique de l’Égypte, en attirant les financements étrangers ; mais ceux-ci se sont surtout concentrés sur les infrastructures et un secteur des hydrocarbures dynamisé par la découverte d’importantes ressources gazières en Méditerranée et dans le delta du Nil.

Par ailleurs, ces grands projets ont surtout profité à l’armée et à la ­nouvelle classe d’affaires du régime. Systématiquement désavantagés dans l’attribution des marchés publics, les hommes d’affaires égyptiens ont ­souvent fait le choix de retirer leurs capitaux du marché et de les placer en lieu sûr à l’étranger ou dans des valeurs refuge comme l’immobilier. Ces mouvements de capitaux, combinés au tarissement des principales sources de devises du pays (tourisme, transferts provenant des immigrés du Golfe, etc.), ont fait s’effondrer le cours réel de la livre égyptienne, et obligé la banque ­centrale à procéder à une dévaluation de 32,5 % du prix de la livre par rapport au dollar. Laissée flottante, la livre a continué à se déprécier jusqu’à 50 % de son prix initial, renchérissant d’autant les importations. […]

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