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L’article « La situation militaire d’Israël » a été écrit par l’historien et journaliste Paul Giniewski, et publié dans le numéro 1/1962 de Politique étrangère.
Si les problèmes d’Israël, après le coup d’État syrien de septembre 1961, avaient paru, du jour au lendemain, allégés de la menace redoutable que présentait l’union des puissantes armées syrienne et égyptienne, ils se compliquaient bientôt par un accroissement spectaculaire de la puissance égyptienne. On apprenait en effet la création de trois brigades nouvelles et d’une garde nationale, l’arrivée dans les ports égyptiens de nouvelles unités navales fournies par l’U.R.S.S., l’équipement de ports égyptiens (avec l’aide probable de techniciens soviétiques) pour l’approvisionnement d’une flotte puissante, comme la flotte soviétique, l’ouverture de négociations pour l’équipement en MIG 19 de trois nouvelles escadrilles égyptiennes, le séjour, enfin, d’une mission soviétique au Caire, dirigée par le ministre des centrales électriques de l’U.R.S.S., dont les conversations, a-t-il été précisé officiellement, « déborderont le cadre de la question des travaux du barrage d’Assouan et envisageront l’extension des relations économiques entre l’U.R.S.S. et la R.A.U., avec la possibilité d’une assistance économique nouvelle de l’Union Soviétique sous forme d’un prêt consenti, pour permettre l’exécution des nouveaux plans de développement économique du pays ».
Ce palier spectaculaire du réarmement de l’Égypte représente certainement une menace supplémentaire et grave pour la sécurité d’Israël, et, par la remise en train de la guerre froide au Moyen-Orient, un motif d’inquiétude sérieux pour l’Occident.
Les nouvelles fournitures grossissent démesurément une flotte qui comptait déjà 10 destroyers, 12 sous-marins, 48 vedettes lance-torpilles, des dragueurs, des péniches de débarquement, et qui doit recevoir prochainement, selon l’organe de la flotte britannique, deux croiseurs ! Les bases navales, quelle que soit leur destination théorique, dans le cadre de la stratégie globale de l’État-major soviétique, serviront en pratique, comme jadis les bases britanniques de la région de Suez, cédées en fin de compte à l’Égypte, comme les bases installées en 1955 et 1956 dans le Sinaï, à faire pression sur le seul Israël.
« Grâce aux nouvelles acquisitions », a déclaré un porte-parole égyptien, « les forces navales égyptiennes constituent aujourd’hui la flotte la plus puissante dans le Moyen-Orient ».
« Et nos forces sont maintenant capables d’asséner un coup mortel à Israël », ajoutait le maréchal Amer, ministre de la guerre d’Égypte.
Nous nous proposons d’analyser ici la nature exacte du péril, tel qu’il se présente pour Israël après la rupture de la RAU et les nouvelles fournitures soviétiques à l’Égypte, et les conséquences politiques et militaires qu’il peut entraîner dans le proche avenir.
Le faux retour du « père prodigue »
En octobre 1961, peu après la rupture de la RAU, paraissait dans la presse israélienne une caricature de Dosh, le plus mordant de ses satiristes, intitulée « le retour du père prodigue». On y voyait un Nasser contusionné, le bras en écharpe, revenant penaud à la maison, après aventures, bordées et déboires, et attendu sur le seuil de sa hutte délabrée par une marmaille en guenilles et une épouse résignée qui lui tend les bras, et dont l’œil s’allume d’une lueur d’espoir. Et la légende de ce « cartoon » qui s’en serait même passé, tant il est parlant et éloquent, fait dire au peuple d’Égypte : « il paraît que tu vas t’occuper de nous »…
La caricature traduisait bien les idées que l’on se faisait, il y a quatre mois, sur la leçon qu’aurait tirée Nasser de l’écroulement de la RAU.
« La libération de la Syrie du joug égyptien, écrivait David Siton, a mis un terme au rêve du dictateur du Caire de régner sur le monde arabe. Elle a aussi dégrisé les meneurs du mouvement pan-arabe et l’on est fondé d’espérer que dorénavant ils seront plus réalistes à l’égard d’Israël et renonceront à une politique d’hostilité aveugle que seule explique une émotivité passionnelle sans justification. »
Les déclarations mêmes du raïs avaient servi à créer l’illusion. Il avait promis de se consacrer à l’établissement du socialisme dans son pays ; à remettre en état les structures intérieures. On n’avait pas compris alors que le « front intérieur » ne désignait nullement la misère à enrayer, la corruption à déraciner, le mécontentement croissant à apaiser par des réalisations positives, mais une nouvelle opération d’escamotage politique des problèmes, et qu’au lieu de bâtir, on jetterait à la populace les instituteurs et diplomates français, les Juifs étrangers, qu’on nationaliserait des terres, qu’on confisquerait de nouveaux biens. En un mot, qu’il s’agissait, quand Nasser donnait l’impression qu’il allait s’occuper des siens, d’un tour de vis supplémentaire, et non pas d’un desserrement de l’étau. Il n’en était pas autrement sur le front politique israélien, où Nasser réattaquait presque immédiatement. « Le soulagement que nous avons éprouvé en Israël, me disait un colonel des blindés, a été de courte durée, et basé sur une illusion. Il me rappelle l’anecdote de la chèvre et du rabbin. »
« Un pauvre berger était allé trouver le rabbin pour se plaindre de l’étroitesse de sa cabane. Je ne peux plus y tenir, lui disait-il, avec ma femme et mes trois enfants. »
« Pour tout remède, le sage rabbin lui avait enjoint d’ajouter » chaque matin, une chèvre de son troupeau à la hutte déjà surpeuplée, et de venir le revoir quinze jours après. Le berger, simplet, confiant dans la sagesse du rabbin, avait obéi à la lettre, et s’était retrouvé quinze jours plus tard, avec femme, enfants et 15 chèvres dans sa hutte. Alors le rabbin lui avait dit : maintenant, retourne chez toi, et fais sortir les chèvres. » « Ce que fit notre berger, et il eut soudain l’impression de vivre dans un palais spacieux. C’est exactement ce qu’a éprouvé Israël quand les Syriens se sont révoltés : un soulagement formidable, causé par une illusion. »
La réalité militaire
Quels sont, en effet, les facteurs réels de la réalité militaire ? Nous avons posé la question, tout d’abord, au général Tsvi Tsour, chef d’État-major de l’armée d’Israël. C’est, comme la plupart des généraux d’Israël, un homme jeune : 38 ans. Il avait commandé, pendant la guerre d’indépendance, les « renards de Chimchon », une unité de jeeps qui avait réalisé dans le Neguev, contre les Égyptiens, des pénétrations foudroyantes et des gains sans rapport avec ses moyens.
Stratégiquement, nous dit Tsvi Tsour, la situation d’Israël s’est améliorée après la rupture de la RAU. Avant la rupture, nous avions en face de nous les deux armées syrienne et égyptienne, mais sous un commandement unifié. Or, la force d’une armée dépend avant tout de la manière dont l’utilise le commandement. Il y avait aussi le danger de voir l’armée jordanienne passer dans les mêmes mains. Pour le moment, cette unité de commandement n’existe plus. »
« Mais il y a un mais — et un mais important. » […]
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