Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Vincent Hugeux, Kadhafi (Perrin, 2017, 352 pages).
La Libye a longtemps peu intéressé les chercheurs et les Français. La France n’avait pas avec ce pays sous influence italienne l’intimité qu’elle pouvait avoir avec les autres pays maghrébins. Le livre de Vincent Hugeux, grand reporter à l’Express, comble cette lacune par la richesse de son information et la description des relations difficiles du colonel Kadhafi avec les pays occidentaux en général, et la France en particulier. Il apporte des éléments de jugement très intéressants à un moment où l’on s’efforce de maîtriser le chaos libyen provoqué par l’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en 2011.
L’auteur s’efforce tout d’abord de cerner la personnalité de ce « caïd paradoxal ». Certes, Kadhafi était plein de contradictions, mais loin d’être fou comme ses détracteurs ont pu le dire. Si tel était le cas, il n’aurait pu régner pendant 42 ans, record sans équivalent parmi les chefs d’État arabes, échappant aux fréquents complots intérieurs et aux tentatives de déstabilisations extérieures. « Ses colères théâtralisées, ses diatribes incandescentes, ses rodomontades puériles, ses ébouriffantes lubies masquent une implacable cohérence », celle du rebelle de naissance habité par quelques tenaces obsessions. Parmi celles-ci, on citera : laver l’affront colonial, vaincre Israël, rassembler l’oumma arabo-musulmane, unifier l’Afrique… La relation avec la France fut particulièrement heurtée, de la sympathie initiale du président Pompidou pour le jeune lieutenant qui dépose le roi Idriss en 1969 à l’affrontement avec Nicolas Sarkozy.
Réunissant de nombreux témoignages de proches, d’adversaires, de diplomates, Vincent Hugeux bâtit, par-delà ce qui se présente comme une biographie, l’histoire de la Libye de 1969 à 2011. Celle-ci est émaillée de nombreuses crises internes, d’une politique d’influence active en Afrique, de menées terroristes tous azimuts et de relations conflictuelles avec les pays occidentaux. Ce fut au total un « formidable échec », tant sur le plan interne qu’externe : Khadafi n’a su malgré l’ampleur de ses ressources financières faire de la Libye un pays moderne et cohérent. Son action extérieure a rassemblé autour de lui une vaste coalition comprenant, outre des pays occidentaux, de nombreux « pays frères » qui ont contribué à sa tragique disparition.
La dernière partie couvre l’année 2011 et la fin du règne de Kadhafi qui se termine par sa mort à Syrte, filmée en direct par ses exécuteurs. À l’évidence, il sous-estime la force de la vague de révoltes qui secoue depuis fin 2010 les pays arabes, et ne voit pas que l’étincelle de Bengahzi qui allume le soulèvement le 15 février va lui être fatale. Il résiste efficacement cependant dans un premier temps à la coalition de l’OTAN, qui agit avec l’aval donné le 19 mars par le Conseil de sécurité des Nation unies.
L’auteur reste cependant prudent sur les débats développés à la suite de l’intervention de la coalition. La population de Benghazi était-elle réellement menacée d’un massacre ? L’intervention militaire validée par la communauté internationale au titre de la responsabilité de protéger a-t-elle dépassé le mandat onusien ? Les accusations des proches de Kadhafi touchant directement le président Sarkozy et la campagne de la présidentielle de 2007 sont-elles fondées ? Pour l’auteur, il n’y a pas de réponses claires à ce jour.
Ce livre, très bien écrit, se lit avec beaucoup d’intérêt et donne une image nuancée de la Libye de Kadhafi. Il reste maintenant à écrire une suite dont le terme n’apparaît pas encore clairement.
Denis Bauchard
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