Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Christopher A. Lawrence, War by Numbers: Understanding Conventional Combat (University of Nebraska Press, 2017, 374 pages).

Les premiers modèles informatisés de combat, apparus dans les années 1950, créèrent le besoin d’une analyse quantitative de la guerre. L’historien militaire américain Trevor Dupuy (1916-1995) et les diverses organisations qu’il a dirigées furent des précurseurs dans ce domaine, constituant des bases de données statistiques sur les engagements au combat. L’auteur de War by Numbers s’inscrit dans cette lignée. Il a longtemps travaillé avec Dupuy et préside le Dupuy Institute. Après plusieurs années à étudier les insurrections, il insiste sur la nécessité d’exhumer la recherche sur les conflits de haute intensité. Pour ce faire, il présente des études menées par son institut, qui viennent compléter les travaux de Dupuy lui-même.

À partir de plusieurs bases de données recensant des combats de 1618 au début des années 2000, Lawrence revient, en chiffres, sur de nombreux sujets traversant les études sur la guerre : le rapport entre offensive et défensive, la valeur de la dispersion ou celle de la surprise, les rapports de force, les facteurs humains dans l’issue des combats, etc.

Il n’est pas possible d’être exhaustif ici. Trois thématiques majeures du livre peuvent néanmoins être soulignées. Tout d’abord, en ce qui concerne les rapports de force, l’auteur démontre que, dans 74 % des cas, lorsqu’un attaquant l’emporte, c’est qu’il se trouve en supériorité numérique. Lorsqu’on analyse les victoires des défenseurs, on s’aperçoit qu’ils étaient en infériorité numérique dans 64 % des cas. L’attaquant sort presque toujours vainqueur d’un affrontement lorsqu’il dispose d’un rapport de force supérieur ou égal à deux contre un.

Un chapitre particulièrement intéressant s’attache à démystifier ce que l’auteur appelle les « légendes urbaines », c’est-à-dire les idées préconçues sur le combat en ville. Les chiffres confirment qu’un attaquant progresse plus lentement en zone urbaine que sur les autres types de terrain : 0,96 km par jour contre 1,41. En revanche, les cas étudiés ne corroborent pas la croyance que les chars de combat souffrent plus de pertes en zone urbaine qu’en terrain ouvert. De même, le rapport de force nécessaire pour l’emporter ne serait pas influencé par ce terrain particulier. Pour l’auteur, ces biais sont la conséquence de la focalisation sur des études de cas extrêmes (Grozny), en oubliant qu’ils ne sont pas représentatifs.

Enfin, dans une partie consacrée aux pertes au combat, l’auteur fait remarquer que, de la guerre mexico-américaine (1846-1848) à la guerre du Vietnam (1963-1975), l’Army a compté 4 blessés pour 1 tué. Un changement majeur a eu lieu avec les engagements en Irak et en Afghanistan, où le taux est passé, respectivement, à 8,68 et 9,1 blessés pour 1 tué. Les évolutions liées aux prises en charge médicales, ou celles de la protection individuelle, y ont bien évidemment contribué. Mais les causes de blessures ont aussi un rôle clé. Les armes à tir direct (fusils ou mitrailleuses) tuent plus de 25 % des soldats touchés ; ce chiffre passe à 10 % pour les armes à fragmentation, ce qui inclut les engins explosifs improvisés (IED), omniprésents en Irak et en Afghanistan.

La lecture de cet ouvrage technique, entrecoupé de nombreux tableaux et statistiques, quelque peu rébarbative, n’est à conseiller qu’aux spécialistes. Pour ces derniers, il s’avérera un outil de travail particulièrement précieux.

Rémy Hémez

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