Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Gérard Chaliand propose une analyse de l’ouvrage de Levon Ter-Petrossian, Armenia’s Future, Relations with Turkey, and the Karabagh Conflict (Palgrave Macmillan, 2017, 176 pages).

Le conflit du Haut-Karabagh (1988-1994) constitue pour l’État enclavé qu’est l’Arménie, une victoire qui débouche sur une impasse. Le double blocus qui en résulte, avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, grève le développement du pays et accélère l’émigration. La population passe d’un peu plus de trois millions d’habitants à la chute de l’Union soviétique à, sans doute, un peu moins de deux millions.

Dès 1988, le Mouvement national arménien (MNA) dirigé par Levon Ter-Petrossian se développe à l’abri de la glasnost gorbatchévienne et réclame le rattachement de l’enclave du Haut-Karabagh à l’Arménie – l’Arménie soviétisée comportait deux régions enclavées, le Nakhitchevan et le Haut-Karabagh, dont la souveraineté était dévolue à l’Azerbaïdjan.

L’annuaire politique et économique de l’URSS publié à Moscou en 1926 mentionne : « Les Arméniens du Nakhitchevan forment la majorité de la population (55,7 %). En 1991, elle n’en comptait plus aucun. La région autonome du Karabagh montagneux a été formée le 3 juin 1923. La population se compose de 137 000 habitants. Les Arméniens forment
97,4 % de toute la population. » Lors de la dissolution de l’Union soviétique, ils étaient
un peu plus de 75 %.

En 1988, en réponse aux demandes arméniennes de rattacher le Karabagh à l’Arménie,
les Azerbaïdjanais répondent par des pogroms. De part et d’autre, les populations non nationales se réfugient dans leurs pays d’origine. Le MNA parvient à battre le Parti communiste aux élections du Soviet suprême, devenant ainsi le premier gouvernement non communiste en URSS. En 1990, Levon Ter-Petrossian proclame la souveraineté de la République d’Arménie. Jusque-là, Moscou appuie l’Azerbaïdjan. Par la suite, la politique russe prend parti pour les Arméniens, pour contraindre Bakou à rejoindre la Communauté des États indépendants (CEI). Le conflit se termine en 1994 par la victoire de l’Arménie, après avoir causé la mort de 30 000 personnes dans les deux camps. Entre-temps, à Kelbajar, verrou stratégique, les forces arméniennes tuent quelque 600 civils (ce que Bakou désigne comme un « génocide »). Le conflit se solde pour l’Azerbaïdjan par la perte quasi totale du Haut-Karabagh et des territoires adjacents à l’ouest et au sud de l’enclave, et par des centaines de milliers de réfugiés.

Durant les années de sa présidence (1991-1998), Levon Ter-Petrossian s’efforce d’établir des relations non antagoniques avec la Turquie. Il ne fait pas de la reconnaissance du génocide des Arméniens dans l’empire ottoman un préalable aux rapports arméno-turcs.

Des contacts se multiplient avec la direction azerbaïdjanaise pour trouver un compromis acceptable. En vain. Levon Ter-Petrossian est destitué par ceux qui trouvent sa politique trop portée sur le compromis. Après sept ans de silence, il juge ici le bilan de ses successeurs et rivaux.

Levon Ter-Petrossian n’avait pas commis l’erreur de son successeur Robert Kotcharian : poser en préalable à toute entente avec la Turquie, la reconnaissance du génocide des Arméniens. Ni celle de Serge Sarkissian, donnant par la suite son consentement à l’offre turque d’une commission d’historiens turcs et arméniens pour définir la nature des événements de 1915-1917 !

Entre-temps, l’Azerbaïdjan s’est renforcé grâce à son pétrole, et la Russie reste garante de la sécurité de l’Arménie, État à peine souverain. En 2017, après quatre journées d’affrontements déclenchés par Bakou, Vladimir Poutine convoquait les deux présidents belligérants à Moscou et les sommait de mettre un terme immédiat à leurs combats, réaffirmant ainsi qu’il reste, grâce au contentieux du Karabagh, l’arbitre en Transcaucasie. Les positions défendues par Levon Ter-Petrossian étaient pertinentes. Pour la Turquie, les relations cordiales avec l’Arménie étaient-elles nécessaires ? Soutenir Bakou, par contre, paraissait évident. Quant à l’Azerbaïdjan, était-il prêt à renoncer à la possession du Haut-Karabagh ? La dimension passionnelle, de part et d’autre, l’aura emporté, laissant Moscou maître du jeu.

Gérard Chaliand

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