Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Stefano Ugolini, The Evolution of Central Banking: Theory and History (Palgrave Macmillan, 2017, 328 pages).

Stefano Ugolini, professeur à l’université de Toulouse, nous présente une étude remarquable sur les banques centrales, qui s’inscrit dans la lignée des travaux de recherche publiés ces trois dernières décennies par Charles Goodhart, Curzio Giannini et Charles Calomiris. S’affranchissant de l’approche institutionnelle, le livre approfondit les quatre fonctions principales d’une banque centrale : l’entretien du système de paiement, la supervision des établissements de crédit, l’émission de monnaie et la conduite de la politique monétaire.

La mise en place d’un système de paiement est loin d’être élémentaire. En théorie, un tel système devrait avoir toutes les caractéristiques d’un monopole naturel, c’est-à-dire d’un marché où l’ensemble de la demande peut être satisfaite au plus faible coût par une seule entreprise plutôt que par plusieurs. En pratique, il en va tout autrement puisque de nombreuses économies ont été longtemps réticentes à l’avènement d’un tel monopole. Le même problème se pose quant à l’instauration d’un système de paiement international. Il faudra attendre la faillite retentissante de la banque Herstatt en 1974 pour qu’une coordination transnationale s’organise sous l’égide du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire.

Le chapitre sur la supervision éclaire les différences de culture qui prévalent des deux côtés de l’Atlantique. Les États-Unis ont souvent privilégié les outils d’intervention ex ante (exigence de fonds propres et réserves obligatoires), tandis que l’Europe a préféré les outils d’intervention ex post (renflouements, garanties des dépôts et rôle de prêteur en dernier ressort de la banque centrale). Toutefois, l’auteur souligne que ces grands modèles de supervision ont tous deux échoué à endiguer le phénomène d’aléa moral depuis les années 1990. La taille excessive et la forte « interconnection » des grandes institutions financières expliquent cet échec.

La capacité d’une banque centrale à émettre de la monnaie est évidemment liée à sa crédibilité, qui requiert la préservation des droits et intérêts des créanciers. Au fil du XXe siècle, cette crédibilité a été renforcée avec l’indépendance des banques centrales, facteur clé de la stabilité monétaire. À cet égard, une divergence perdure entre Européens et Américains. Chez les premiers, les banquiers centraux sont en charge de la stabilité interne (faible inflation) et externe (faible fluctuation de la monnaie vis-à-vis des autres devises). Chez les seconds, la Federal Reserve se consacre exclusivement à la maîtrise de l’inflation, laissant au Trésor le soin de veiller à la stabilité monétaire externe. L’histoire récente a cependant montré que cette dernière demeure une préoccupation mineure de l’administration américaine : « Le dollar, c’est notre monnaie mais c’est votre problème », comme l’avait claironné en 1971 le secrétaire au Trésor John Connally.

Cet ouvrage s’adresse aux lecteurs qui souhaitent mieux comprendre le champ d’action et l’étendue des pouvoirs des banques centrales. La légitimité de ces dernières dépend fondamentalement de leur capacité à maximiser leur utilité sociale. Elles doivent donc demeurer pragmatiques et s’adapter en permanence aux chocs économiques et politiques. Tout un programme pour la Banque centrale européenne !

Norbert Gaillard

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