Le 19 mars dernier, le Bulletin Quotidien de l’Agence Europe a consacré un article signé Michel Theys, dans la Bibliothèque européenne N° 1248, au dossier « Le Brexit dans tous ses états », publié dans le numéro d’hiver 2018 de Politique étrangère (n° 4/2018).

Cette revue française de débats et d’analyses sur les grandes questions internationales a, dans cette livraison, une coloration tout particulièrement européenne, ce que justifient les rendez-vous avec l’actualité qui, dans les prochaines semaines, ne manqueront pas d’influencer le destin de l’Union européenne et de ses États membres. En couverture, l’accent est ainsi mis sur le dossier consacré au « Brexit dans tous ses états », cet événement toujours hypothétique à ce jour qui suscite doutes et craintes partout dans l’Union. Même s’il n’y est indiqué qu’en sous-titre, le second thème abordé, « la démocratie européenne au-delà des élections », retiendra tout autant, si pas plus encore, l’attention des citoyens européens désireux de comprendre certaines des raisons expliquant pourquoi la légitimité démocratique de l’Union reste encore et toujours bancale.

Pour ce qui est du Brexit, l’éditorialiste de la revue dirigée par Thierry de Montbrial pose en guise de toile de fond que « ce qui a été vendu à une opinion déboussolée, ce qui est encore revendiqué par une partie des élites politiques britanniques », c’est un « sentiment d’exceptionnalité que suggère une grande histoire (…) qui brouille la lucidité sur le présent ». Ayant été opportunément rappelé qu’il arrive parfois aussi à un certain nombre de Français de nourrir ce sentiment, les contributions consacrées à quatre dossiers clé pour les relations futures entre Londres et l’Union visent à vérifier que ce sentiment d’exceptionnalité ne relève pas du mirage. Elles ne rassurent pas sur ce point.

Ainsi, Pauline Schnapper (professeure de civilisation britannique contemporaine à l’Université de la Sorbonne-Nouvelle de Paris) montre que le Brexit, « présenté par les europhobes les plus ardents comme l’occasion pour le Royaume-Uni de (re)devenir un acteur global, risque au contraire d’affecter négativement le rôle et l’influence du pays » sur la scène internationale. Alors que le Commonwealth représente moins de 9 % des échanges commerciaux britanniques, soit autant que la seule Allemagne, imaginer qu’il pourrait se substituer valablement à l’Union paraît, glisse-t-elle notamment, « relever davantage du fantasme que de la réalité ». S’employant à évaluer l’impact économique et financier d’un Brexit, Emmanuel Mourlon-Druol (notamment maître de conférences principal à l’Université de Glasgow) ne s’avère guère plus optimiste, lui qui juge que, dans un monde où « le débat multilatéral est inévitable », la souveraineté britannique sera – n’en déplaise aux partisans du Leave qui prétendent le contraire – « diminuée » quand le pays aura quitté une Union qu’il influençait avec une particulière efficacité. Le regard que la Pr. Marie-Claire Considère-Charon porte sur la question irlandaise en en rappelant utilement les fondements historiques confirme l’impasse dans laquelle s’engage Londres, le « deal ambigu » que le Pr. Jolyon Howorth (Université de Harvard) voit peut-être se dessiner pour ce qui est de la défense européenne n’étant pas de nature à contredire l’impression que personne ne gagnera quoi que ce soit dans ce divorce.

Le thème de la démocratie européenne est, quant à lui, abordé sous la forme d’une confrontation entre tenants de « deux logiques ‘européistes’ ». La plus instructive est celle qui voit Marie-Françoise Bechtel apporter des réponses à la question de savoir s’il peut y avoir une démocratie européenne, son propos amenant à mieux cerner le raisonnement de ceux qui en France depuis De Gaulle, politiques et intellectuels, ont pour le confédéralisme les yeux de Chimène, quitte à formuler des arguments qui laisseront plus d’un pantois. Ainsi, la vice-présidente de la Fondation Res Publica (qui siège aussi au sein du Conseil d’administration de l’Institut français des relations internationales…) assène d’emblée que « très tôt la Communauté économique européenne (CEE) a tourné le dos aux principes essentiels de la démocratie » lorsque, dès 1963, la Cour de justice a, avec l’arrêt Van Gend en Loos, érigé le droit européen en « ordre juridique souverain ». Depuis, le déficit démocratique qui en a découlé n’a cessé d’être amplifié et « la trilogie fondatrice de toute démocratie parlement/gouvernement/justice est (…) absente des institutions de l’Union », seul le Conseil échappant à cette critique. Comment, dès lors, combler ce « déficit démocratique fondamental » ? Ce serait possible en accordant plus de place au Conseil des ministres, mais aussi – accrochez-vous ! – en mettant « les pouvoirs de la Commission en matière de réglementation » sous le contrôle de ce dernier, et en faisant du Parlement européen non le représentant d’un « peuple européen inexistant », mais bien… « l’émanation des Parlements nationaux ». Pour cette proche de Jean-Pierre Chevènement, le modèle d’une Europe confédérale serait, par conséquent, « le plus sensé du point de vue du réalisme comme de l’ambition ». A ce plaidoyer qui montre que certains Français en sont restés au temps du général de Gaulle et continuent à faire de la résistance face aux évolutions qu’a connues l’Union, le diplomate Maxime Lefebvre oppose une analyse d’une plus grande ouverture d’esprit en rappelant qu’il s’agit bel et bien, depuis la Déclaration Schuman, de construire une fédération européenne, l’Union actuelle, insatisfaisante, devant être comprise comme une « fédération en devenir ». Professeur à ESCP Europe, il passe en revue ce qui permettrait de progresser dans ce sens, toutefois sans manifester d’ambitions démesurées à ce propos. Tant il est vrai que le « sentiment d’exceptionnalité que suggère une grande histoire » habite encore beaucoup d’esprits en France aussi…

Michel Theys

Retrouvez le sommaire du n° 4/2018 ici.

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