Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Corentin Brustlein, directeur du Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Céline Jurgensen et Dominique Mongin, Résistance et dissuasion. Des origines du programme nucléaire français à nos jours (Odile Jacob, 2018, 400 pages).

L’héritage du général de Gaulle demeure, en 2019, un pilier de la politique étrangère et de la stratégie de défense de la France. Comme objet politique, cet héritage alimente des controverses récurrentes autour des décisions de politique étrangère de chaque gouvernement français : qu’il s’agisse de la réintégration des structures de commandement militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ou de la guerre en Libye, le caractère supposément gaullien de chaque décision est interrogé. Aussi fréquentes qu’elles puissent être, ces polémiques ne sauraient toutefois faire oublier les influences durables exercées par un socle conceptuel plaçant l’indépendance politique et l’autonomie stratégique au-dessus de tout autre considération.

L’ouvrage collectif Résistance et dissuasion. Des origines du programme nucléaire français à nos jours permet de mesurer le poids de cette continuité unissant les avancées des pionniers français de la physique nucléaire, leur réaction face à l’effondrement dramatique du printemps 1940 et la politique nucléaire suivie par la France de l’après-guerre à aujourd’hui.

Comme le colloque organisé en 2017 dont il est issu, l’ouvrage réunit pour l’essentiel des contributions d’historiens et d’acteurs de la politique nucléaire française – hommes politiques, responsables du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), diplomates, officiers généraux. La problématique de l’ouvrage se décline en quatre parties : une première consacrée au rôle des atomiciens français avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, une deuxième portant sur l’après-guerre et les débuts du CEA, une troisième sur la vision gaullienne de la souveraineté nucléaire, et une dernière s’intéressant au lien entre indépendance et dissuasion nucléaire aujourd’hui. Si les volumes des parties varient, reflétant une certaine hétérogénéité des textes, chacune contribue à éclairer de manière fine et complémentaire ces quatre phases de la relation entre souveraineté, maîtrise de l’atome et sécurité nationale qui s’est nouée en France ces quatre-vingt dernières années.

La lecture de l’ouvrage incite à s’interroger sur le poids du « plus jamais ça ! » – qui illustre souvent l’expérience traumatisante de la Seconde Guerre mondiale – tant sur le choix français de développer une arme nucléaire en dépit d’importants coûts, que sur la valeur primordiale accordée à l’indépendance nationale depuis lors, particulièrement sous la Ve République. L’histoire relatée dans les premiers chapitres nuance et enrichit cette perspective, en mettant en relief les racines de cette puissante motivation avant et pendant la guerre, les efforts consentis par une poignée de héros pour ralentir les progrès allemands vers la maîtrise de l’énergie nucléaire à des fins militaires, ou encore les coopérations et tensions ayant émergé entre scientifiques des pays alliés au cours de la guerre. Les parties suivantes éclairent parfaitement ce qui en a résulté, à savoir une symbiose grandissante entre dissuasion nucléaire et indépendance nationale au fil des décennies, des projets communs et des querelles interalliées de la guerre froide aux défis de l’adaptation de la posture française depuis la fin de cette même guerre.

Résistance et dissuasion est un ouvrage de grande valeur, par sa cohérence, la profondeur des exposés historiques et la richesse des témoignages qu’il propose.

Corentin Brustlein

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