Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Serge Caplain propose une analyse de l’ouvrage d’Isabelle Lasserre, Le réveil des armées (JC Lattès, 2019, 320 pages).

« 87 % des Français ont une bonne image de leur armée. » Au pays des « Gaulois réfractaires », supposés plus enclins à la contestation qu’à la discipline militaire, le constat étonne. Ce paradoxe a poussé Isabelle Lasserre à s’interroger sur les ressorts de cette dynamique. Rédactrice en chef adjointe au service étranger du Figaro, elle signe ici un livre de journaliste, fruit d’une enquête de terrain et d’entretiens auprès d’officiers et de chercheurs. Décortiquant une institution méconnue des Français, l’auteur dresse un portrait flatteur des militaires. Elle décrit des hommes et des femmes désintéressés, engagés au service des autres et de la République : des exemples pour les dirigeants comme pour les plus jeunes.

Isabelle Lasserre commence par dépeindre « les signes du réveil » de la conscience militaire dans la société. « La figure du soldat […] est revenue », comme en témoigne le sursaut du recrutement après les attentats de 2015. Une image de l’officier qui s’impose est celle du colonel Beltrame, portant ses actes à la hauteur de ses idéaux. Les Français aussi ont changé. Si la génération de 1968 avait ringardisé les valeurs patriotiques, la nouvelle génération, en quête de transcendance et d’action, les plébisciterait. Cependant, ce regain d’intérêt pour la chose militaire s’explique aussi par un monde plus dangereux. Rompant avec les années relativement pacifiques de l’immédiat après-guerre froide, les Français réalisent que des menaces pèsent sur leur pays, et que certaines sont déjà sur leur sol. La France, cible privilégiée du terrorisme, souhaite une défense efficace, à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire.

Ce basculement de l’opinion a des incidences sur la classe politique, qui a des rapports singuliers avec les armées. Professionnelle, tournée vers l’engagement extérieur, l’armée s’est largement dépolitisée, mais elle reste parfois suspecte aux yeux de politiques qui la connaissent mal. Ils lui prêtent souvent à tort un esprit bonapartiste, ou ultraconservateur. Or, quand elle existe, cette défiance est désastreuse pour les budgets comme pour le moral. Pour défendre leur institution fragile, soumise aux aléas de Bercy, les militaires ont pris conscience qu’ils devaient expliquer leur spécificité avec pédagogie. Réprimant leur frustration, ils s’expriment désormais sur ces sujets dans une abondante – mais prudente – littérature. Dans une société fractionnée qui voit s’éroder ses valeurs, l’armée est à la fois un modèle d’intégration, de promotion sociale, d’intégrité et d’autorité. Elle assume sa qualité de source d’inspiration, notamment pour l’Éducation nationale, mais elle récuse tout rôle de recours providentiel que certains veulent lui attribuer.

Isabelle Lasserre décrit assez bien la société militaire, même si la communauté de défense ne se reconnaîtra peut-être pas totalement dans ce portrait très bienveillant. Son décryptage de la psyché militaire, qui varierait selon les armées (Terre, Air, Marine) peut être jugé quelque peu caricatural, mais il reste pertinent. L’analyse de l’auteur, notamment lorsqu’elle décortique politiquement et sociologiquement les jeux de pouvoir au sein des cabinets ministériels, est éclairante. Si elle se réjouit du « réveil des Armées », Isabelle Lasserre invite le lecteur à la prudence : elle sait l’inconstance de l’opinion publique et souligne que l’affection actuelle pour les forces armées pourrait ne pas durer.

Serge Caplain

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