Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019). Pauline Schnapper propose une analyse de l’ouvrage de Rory Stewart, Les Marches. Aux frontières de l’identité britannique (Gallimard, 2019, 560 pages).
Rory Stewart est un des personnages les plus singuliers et attachants du paysage politique britannique actuel. Ancien soldat et diplomate (il fut gouverneur adjoint en Irak après l’invasion de 2003), grand voyageur à pied en Orient, il a été élu député conservateur d’une circonscription du nord de l’Angleterre, mitoyenne de l’Écosse, en 2010. Modéré et pro-européen, il a été ministre dans le gouvernement de Theresa May avant de se présenter, sans succès, à la direction du parti en juillet 2019, laquelle fut remportée par Boris Johnson. Opposé à la stratégie jusqu’au-boutiste du nouveau Premier ministre, il a voté avec l’opposition contre une sortie sans accord de l’Union européenne (UE) et s’est fait exclure du Parti conservateur avec vingt autres députés centristes.
L’ouvrage de 500 pages n’est pas politique au sens strict ou direct. Il fait le récit de longues randonnées le long du mur d’Hadrien, qui sépare grossièrement l’Angleterre de l’Écosse, quelques années avant le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, puis dans le comté de Cumbria, dans le nord de l’Angleterre. Dans la première, il est accompagné de son père âgé de 90 ans, lui aussi ancien militaire et administrateur colonial en Asie au temps de l’empire britannique, comme beaucoup d’Écossais. Père et fils commentent les traces de la présence romaine en Grande-Bretagne avec une grande érudition, et s’interrogent sur les parallèles entre l’empire romain et l’empire britannique. Stewart fils entrecoupe son récit de nombreuses anecdotes familiales et professionnelles issues de leur histoire commune et de leurs carrières respectives au service de Sa Majesté, y compris dans les services secrets. Comme il le dit lui-même, « les marches sont des miracles, capables de m’apprendre beaucoup, comme rien d’autre ne le peut, sur une nation ou sur moi-même ».
Au-delà du récit personnel et familial surgissent cependant des remarques plus politiques, sur l’artificialité des frontières et l’absurdité des murs qui ne séparent jamais vraiment les hommes, mettant en évidence les proximités culturelles entre Anglais et Écossais. Après son expérience en Irak et en Afghanistan, qu’il a arpenté pendant deux ans à pied, il relève aussi, au passage, l’ambiguïté des interventions militaires occidentales et la difficulté de s’en extirper.
Au fil du récit familial et des rencontres avec la population locale, agriculteurs ou éleveurs, apparaît aussi la nostalgie d’un monde britannique plus uni qu’aujourd’hui, où l’on pouvait concilier, comme son père, un fort sentiment d’identité écossaise avec un attachement tout aussi vif à l’unité du royaume et à l’identité britannique. Le nationalisme écossais est passé par là et le monde dans lequel les Stewart ont évolué a changé. L’auteur décrit une société devenue moins policée, plus violente et plus divisée – et l’ouvrage a été publié outre-Manche en 2016, avant le référendum sur la sortie de l’Union européenne.
Pauline Schnapper
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