Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2019). Thierry Pairault propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Arkebe Oqubay et Justin Yifu Lin, China-Africa and an Economic Transformation(Oxford University Press, 2019, 368 pages).
Ce livre offre une réflexion dense sur les relations économiques entre la Chine et l’Afrique avec quelques aperçus plus spécifiquement axés sur le Nigeria et l’Éthiopie. Les chapitres centraux sont précédés et suivis de chapitres introductifs et conclusifs à caractère nettement plus politique constituant des plaidoyers pro domo. D’ailleurs, ce sont deux personnages éminemment politiques qui ont dirigé cette publication : Justin Yifu Lin (ancien économiste en chef à la Banque mondiale) et Arkebe Oqubay (ministre d’État, conseiller spécial auprès de deux Premiers ministres éthiopiens successifs).
L’Éthiopie précisément, Lin et Oqubay en vantent l’essor considérable des exportations et font du fabricant de chaussures Huajian le parangon de la coopération sino-éthiopienne. Les exportations éthiopiennes de chaussures (de Huajian ou de ses concurrents) ont été multipliées par quatre entre 2011 et 2018 ; mais elles ne représentent que 1,3 % des exportations éthiopiennes et 0,02 % des exportations mondiales de chaussures. Un rapport du ministère chinois du Commerce de juin 2018 suggère des achoppements qui seraient récurrents et possiblement handicapants pour Huajian. Tang Xiaoyang, enquêtant en 2018 sur l’industrie éthiopienne des cuirs et peaux, en dresse lui aussi un tableau très sombre[1]. Et Françoise Nicolas remarque ailleurs que « [l]es résultats décevants dans le secteur des vêtements, chaussures et autres produits de l’industrie légère s’expliquent par les politiques conduites[2] ».
De cette conjoncture morose, rien n’est dit. Si Lin et Oqubay ont raison de souligner la « nature productive » des investissements étrangers – dont au premier chef les chinois ces dernières années –, en revanche les politiques publiques ne sont guère remises en question, en particulier celle autorisant des zones économiques spéciales privées qui accueillent des entreprises chinoises dont les objectifs n’ont aucune raison d’être conformes aux besoins du pays en termes de développement industriel.
De même, s’ils ont raison de prôner une priorité aux investissements en infrastructures, encore les auteurs ne discutent-ils pas de leur bon dimensionnement et donc de leur adéquation à une stratégie de développement et à sa capacité à générer – dans les délais des prêts – les remboursements nécessaires. Comme l’usine Huajian, la ligne de chemin de fer entre Addis-Abeba et Djibouti a été présentée comme une réalisation modèle de la coopération sino-africaine. Or cet investissement pharaonique a certainement été surdimensionné par rapport aux besoins de court et moyen termes.
Ce qui manque à cet ouvrage n’est pas tant un état des lieux de la présence économique chinoise en Afrique, qu’une appréciation des gouvernances, tant celle insufflée par la Chine – même si elle s’en défend – que celles mises en œuvre dans les pays africains. Il y manque aussi une réflexion sur l’évolution des formes de la mondialisation dues à l’éruption de chaînes de valeur mondiales axées sur les services, la robotique et les connaissances, à telle enseigne qu’une main-d’œuvre peu qualifiée – comme l’africaine – pourrait désormais représenter un frein à l’essor du continent. Une telle réflexion aurait obligé les deux signataires de l’ouvrage à revisiter le postulat implicite de leur démarche selon lequel la Chine délocaliserait 85 millions d’emplois non qualifiés dont une partie en Afrique.
Thierry Pairault
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[1]. X. Tang, « Chinese Investments in Ethiopia’s Leather and Leather Product Sectors », CARI Policy Brief, n° 39, China Africa Research Initiative, 2019.
[2]. F. Nicolas, « Les investisseurs chinois en Éthiopie : l’alliance idéale ? », Notes de l’Ifri, Ifri, mars 2017.
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