Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Marc Hecker propose une analyse de l’ouvrage de Daniel Byman, Road Warriors. Foreign Fighters in the Armies of Jihad (Oxford University Press, 2019, 384 pages).

Daniel Byman est professeur à l’université de Georgetown et chercheur spécialisé sur le terrorisme à la Brookings Institution. Son Road Warriors est la première histoire des filières djihadistes acheminant des combattants étrangers vers des zones de guerre. Cet ouvrage est organisé de manière chronologique et analyse les principaux théâtres où Al-Qaïda, puis Daech, ont prospéré, de l’Afghanistan dans les années 1980 à la Syrie d’aujourd’hui. Chaque chapitre met par ailleurs l’accent sur une personnalité marquante comme Barbaros en Bosnie, Khattab en Tchétchénie ou Zarqawi en Irak.

Il ressort clairement que le djihad en Syrie a battu tous les records, avec plus de 40 000 volontaires étrangers dont 6 000 originaires des pays occidentaux. La facilité d’accès à la zone, l’ampleur de la propagande sur Internet et les effets de réseau contribuent à expliquer l’importance du flux. En comparaison, le djihad en Somalie aurait attiré 1 500 à 2 000 combattants étrangers, dont environ 200 d’Europe et 40 des États-Unis.

La France est souvent citée dans ce livre. De tous les pays occidentaux, elle est celui qui a produit le plus de djihadistes en Syrie, mais aussi en Bosnie vingt ans plus tôt. Avec cette différence que les djihadistes français se comptaient par dizaines dans les années 1990, alors que la barre des 1 000 a largement été franchie à l’apogée de Daech. Byman critique la manière dont les autorités ont géré ces individus. Un passage interpelle particulièrement : « La France travaille même avec les forces kurdes de Syrie pour que les ressortissants français soient jugés localement, ce qui aboutit généralement à l’exécution des combattants. Elle prétend honteusement qu’il s’agit d’une forme de procès équitable. » L’accusation est grave, et aurait mérité d’être davantage étayée.

Une partie des djihadistes ayant combattu à l’étranger finit immanquablement par revenir. Byman nuance la dangerosité de ces « revenants ». Seule une petite minorité essaie de perpétrer des attaques à son retour, et bien souvent ces tentatives sont déjouées par les services spécialisés. Aux États-Unis, le dernier attentat réussi par des djihadistes s’étant entraînés à l’étranger remonte au 11 septembre 2001. Ce constat amène l’auteur à affirmer que les « velléitaires » empêchés de quitter le territoire national sont souvent plus dangereux que les djihadistes ayant réussi à rejoindre un groupe terroriste à l’étranger.

Dans son dernier chapitre, Byman esquisse des pistes pour mieux combattre les filières. Pour ce faire, il distingue six étapes dans le « processus de production » des djihadistes : la radicalisation, la décision, le voyage, l’entraînement, le retour, et la planification de l’attentat. Chaque étape offre des opportunités aux pouvoirs publics pour interrompre ce processus. Si toutes les contre-mesures échouent jusqu’au retour, les autorités doivent alors évaluer précisément la dangerosité de chaque revenant, et mettre en œuvre un panel d’actions allant de la coercition à la réinsertion. La surveillance à temps plein d’un revenant coûterait près de 7,5 millions de dollars par an.

Road Warriors n’invite guère à l’optimisme. Les précédents djihads ont laissé derrière eux une longue traîne de violence. Compte tenu de son ampleur, il est probable que le djihad en Syrie produise durablement des effets néfastes.

Marc Hecker

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