La rédaction de Politique étrangère vous offre de (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue. Nous vous proposons aujourd’hui un article de Daniel Benjamin, intitulé « Le terrorisme en perspective », et publié dans le numéro d’hiver 2006.
Le terrorisme est une tactique qui sous-tend l’utilisation de moyens violents contre des non-combattants, à des fins politiques. Depuis environ 150 ans, la pratique terroriste fait preuve d’une remarquable continuité. Les attaques ont pratiquement toujours été menées à l’aide d’armes légères ou d’explosifs et ont généralement consisté à assassiner, prendre des otages, détourner des avions ou poser des bombes. Les terroristes sont historiquement conservateurs : ils n’ont que rarement essayé de nouvelles méthodes, préférant l’assurance d’une opération réussie à la poursuite – incertaine – d’effets plus importants. On relève toutefois quelques innovations sporadiques. L’attentat suicide tout d’abord – utilisé au début des années 1980 par les Tigres tamouls du Sri Lanka ou les chiites libanais – s’est maintenant diffusé chez les musulmans sunnites. Les Palestiniens, impressionnés par les résultats du Hezbollah, ont largement contribué à cette diffusion. Mais, d’une manière générale, les outils utilisés sont restés similaires.
Il en va de même pour l’échelle de la violence. La violence terroriste est particulièrement difficile à jauger en termes de volume. Le nombre d’attaques fluctue grandement en fonction de l’époque, et la distinction ténue entre terrorisme et insurrection rend les choses encore plus compliquées. Les effets directs de chaque attaque ont peu varié. Les attentats provoquant simultanément la mort de plus de 10 personnes sont peu fréquents. Ceux qui causent plus de 100 décès sont très rares. C’est une des raisons pour lesquelles l’attentat de Lockerbie en Écosse et celui du vol UTA 772 en 1989 sont devenus si emblématiques. La réflexion sur l’échelle de la violence a sa raison : le terrorisme veut produire des effets politiques significatifs par des actes de violence limités. D’où la fameuse expression : « Le terrorisme, c’est peu de victimes mais beaucoup de spectateurs ». Du fait de la répétition des mêmes tactiques et de la rareté des attaques de grande ampleur, le terrorisme est longtemps demeuré une préoccupation de sécurité de second ordre – même s’il s’agissait, pour les journalistes de tout poil, d’un sujet de premier ordre. Le risque de mourir d’une piqûre de guêpe ou d’être frappé par la foudre était généralement bien plus grand que celui de périr dans un attentat.
Aujourd’hui encore, hors d’Irak, la probabilité de mourir dans une attaque terroriste n’a pas vraiment évolué, même en intégrant le 11 septembre dans les calculs, mais le terrorisme – du moins certaines formes de terrorisme dont celles qui nous concernent le plus directement – a indéniablement changé depuis cette date. Les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone ainsi que celles qui, depuis, ont échoué – à l’instar du complot de Londres déjoué en 2006 – ont démontré leur volonté de tuer en masse. Contrairement à la grande majorité des groupes terroristes, les djihadistes font preuve d’un vif intérêt pour les armes de destruction massive. Cet intérêt remonte au début des années 1990, quand le quartier général d’Al-Qaida se trouvait au Soudan. Pour les « nouveaux terroristes », la violence n’est pas un moyen de contraindre un adversaire à entrer dans un processus de négociation afin d’obtenir quelques concessions. Il s’agit plutôt d’un moyen sacré visant à obtenir des changements radicaux. La violence est, pour les djihadistes, largement considérée comme une fin en soi.
Comment la violence islamiste radicale, phénomène à la fois archaïque et ultramoderne, peut-elle évoluer ? Les avis divergent. La plupart s’accordent sur le fait que les djihadistes auraient continué à défier l’Occident quelle qu’eût été la réaction américaine au 11 septembre. Al-Qaida a été sévèrement ébranlée par la défaite des talibans et les diverses opérations des services secrets contre le groupe et ses alliés. La coopération efficace des services de renseignements de multiples pays a sans doute été l’un des succès les plus significatifs de ce que l’Administration Bush appelle « la guerre globale contre le terrorisme ».
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