La rédaction de Politique étrangère vous offre à (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue. Nous vous proposons aujourd’hui un article de Marcel Coignard, intitulé « Le problème du contrôle des armements », et publié dans le numéro 5/1960 de Politique étrangère.

Les négociations sur le désarmement, qui se sont poursuivies entre les puissances occidentales et les puissances de l’Est depuis quinze ans, dans le cadre des Nations-Unies, ont permis d’affronter un certain nombre de plans de désarmement d’inspiration politique respective. Elles ont donné aussi l’occasion aux puissances occidentales de présenter des études de mécanisme et d’organisation du contrôle, où perçait la préoccupation de peser l’efficacité des moyens d’inspection. Les divergences politiques profondes, les intérêts stratégiques opposés et les réticences soviétiques à l’égard du contrôle lui-même considéré comme un instrument d’espionnage jouant en leur défaveur, ont empêché tout accord général, tandis que se poursuivaient les discussions techniques sur les objets précis dont l’Est espère pouvoir tirer un bénéfice immédiat (par exemple à propos de l’interdiction des expériences nucléaires).

Sur un autre plan, plus limité, et dans un système plus défini couvrant une aire géographique et politique restreinte, l’Agence de Contrôle des Armements de l’U.E.O. a poursuivi normalement depuis cinq ans l’accomplissement de sa mission de contrôle des armements des 7 puissances d’Europe occidentale, sur le continent européen. Elle a pu mettre au point l’étude des moyens et méthodes de contrôle des armes classiques et entrer dans le domaine des armes nouvelles, engins guidés, armes chimiques et armes biologiques. Des résultats expérimentaux satisfaisants ont été obtenus dans les secteurs, les plus immédiats touchant les armes et fabrications qui peuvent effectivement être contrôlées actuellement sur le continent européen. Les études ont permis de fixer les grandes lignes des possibilités de contrôle de tels armements à prévoir dans le proche avenir. Le domaine de l’arme atomique n’a cependant pas encore été abordé.

Rappelons que le contrôle n’est pas une fin en soi, et qu’il représente la mise en œuvre de l’ensemble des moyens capables d’assurer le respect d’engagements politiques portant sur des limitations ou sur des interdictions à appliquer aux forces armées et à leurs armements. Engagement politique sous-entend, bien entendu, acceptation des mesures d’application dans une ambiance favorable.

En nous plaçant dans le cadre européen, nous limiterons nos réflexions au potentiel d’armement, le contrôle pouvant porter quantitativement sur les niveaux convenus (stocks, fabrications, importations moins exportations), ou sur l’interdiction de production de certaines armes. Nous n’aborderons pas ici le chapitre des interdictions d’usage ou de possession de certaines catégories d’armes, ni celui des moyens de prévention des attaques par surprise, qui sortent du cadre actuel des contrôles en Europe occidentale, mais qui pourraient être envisagés en d’autres perspectives.

Rappelons encore qu’un système de contrôle, pour être valable dans un certain domaine, peut rarement fournir des conclusions à partir d’une donnée unique, considérée isolément susceptible d’être entachée d’erreur ou même de ne pouvoir donner lieu à une vérification satisfaisante. C’est sur la conjonction et le recoupement des renseignements et constatations que repose la valeur d’un système de contrôle. On peut dire qu’un contrôle doit opérer dans l’espace, sous la forme d’un réseau à mailles judicieusement calculées, et dans le temps par la continuité et l’enchaînement des observations successives. Cela posé, le contrôle doit être exercé sous le signe d’une très grande faculté d’adaptation pour faire face à tous les cas rencontrés, et pour se tenir constamment au niveau des progrès de la technique des armements. Ces principes, déjà vérifiés dans les enseignements du passé, prendront une valeur singulière dans l’évolution des contrôles.

La découverte de nouvelles armes a inspiré une nouvelle stratégie et, pour satisfaire à l’échelonnement des besoins militaires ainsi créés, une gamme extraordinaire de types d’armes variées voit le jour sous le signe de progrès extrêmement rapides et constants. Dans cet éventail d’armements, on peut distinguer trois grandes catégories pour faciliter l’étude fondamentale des problèmes de contrôle de demain.

Les armes dites classiques

En relation directe et continue avec le passé, subsistera dans le proche avenir un ensemble d’armes jusqu’alors appelées classiques, et dont les caractéristiques et les performances bénéficieront des derniers progrès de la technique. Le trait commun de ces armements est et sera toujours, du point de vue du contrôle, leur important aspect dimensionnel et numérique pour un ensemble d’opérations militaires de quelque envergure. Du fait de leur visibilité résulte une réelle facilité de détection et de dénombrement (véhicules blindés, chars, avions, canons, lots de munitions, mines, etc.).

Dans le domaine terrestre et aérien, on peut les qualifier d’armements de masse numérique, et ceci est encore vrai, bien qu’à un degré moindre, pour l’armement classique des navires. On rattachera à cette catégorie les armes nouvelles, de puissance moyenne, utilisant un explosif classique à haut rendement. Parce qu’elles devront exister en grand nombre dans les dotations des forces, ces armes seront fabriquées en grande série. Dans cette catégorie « nouvelle » rentreraient les engins guidés antichars, les engins de défense aérienne de moyenne importance (air-air et sol- air), les engins air-sol d’appui tactique à courte portée, les projectiles et engins ASM construits en grande série, etc..

Il semble pratiquement impossible de soustraire aux vues d’un organe de contrôle, bien outillé à tous points de vue, des quantités de tels armements capables de constituer une menace à la sécurité. Des stocks clandestins ou des usines fantômes ne semblent pas pouvoir être créés pour ces armes, dans une zone soumise à de bonnes règles de surveillance. La vérification des stocks déclarés annuellement, par exemple, peut être effectuée avec une précision tout à fait satisfaisante.

Le même degré de précision ne peut cependant être toujours assuré dans le contrôle de la production, surtout pour des objets fabriqués en très grand nombre, mais là encore les quantités marginales qui pourraient échapper au contrôle seraient d’un ordre compatible avec les exigences de la sécurité.

L’affaire peut, bien entendu, se compliquer lorsque les fabrications militaires portent sur des pièces, voire des ensembles, susceptibles d’avoir des usages civils ou pour lesquels la distinction des spécifications militaires et civiles n’est pas très visible. Un contrôle anecdotique, dont la forme serait trop circonscrite, sans ramifications vers des activités corollaires, ni continuité dans l’enchaînement des constatations, pourrait alors être mis en défaut. Il est certain que le contrôle dans un domaine complexe a des chances d’autant meilleures de bien démarrer que ses commencements s’appliquent aux débuts d’une fabrication. Mais ce n’est pas là une condition sine qua non de réussite, lorsqu’il s’agit d’armes moyennes ou lourdes en quantités nombreuses, exigeant de grandes usines spécialement outillées pour leur fabrication. L’organe de contrôle, s’il dispose de statuts, règlements et outillages convenables, pourra toujours réunir les éléments de recoupement utiles pour former sa conviction.

Le contrôle d’un engagement de non-production de telles ou telles armes de cette première catégorie ne rencontrerait pas non plus de difficultés majeures, en raison de la nécessité de disposer d’installations et d’outillages importants, hautement spécialisés, pour réaliser des quantités appréciables de matériels militaires modernes, qu’il faut non seulement fabriquer, mais encore développer, essayer, modifier… Il faut, bien entendu, que le droit d’investigation dans les usines, qui normalement ne fabriquent que pour les besoins civils, ne soit pas restreint dans tous les aspects où une fabrication militaire partielle pourrait être, le cas échéant, camouflée. […]

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