Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2020). Éric-André Martin, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa), propose une analyse de l’ouvrage d’Anu Bradford, The Brussels Effect: How the European Union Rules the World (Oxford University Press, 2020, 424 pages).
Anu Bradford revisite, actualise et réhabilite la puissance normative de l’Europe. Il fallait pour cela que se conjuguent en une seule personne l’expertise et le recul d’un professeur de droit à l’université de Columbia, et une expérience concrète de la réalité européenne. D’origine finlandaise, Anu Bradford a exercé des responsabilités en Europe, notamment au Parlement européen, au Parlement finlandais, ainsi qu’au conseil d’administration du Fonds finlandais pour l’innovation.
Son ouvrage s’inscrit résolument à contre-courant du débat relatif au déclin de l’influence internationale de l’Union européenne (UE), dont les protagonistes se plaisent à souligner la faiblesse militaire, le déclin de puissance économique, et le manque d’unité. L’auteur nous rappelle qu’à travers « l’effet Bruxelles », l’UE dispose d’un moyen d’influence unique dans la conduite des affaires mondiales, qui reste pleinement pertinent, et auquel les marchés, les États, les institutions internationales peuvent difficilement se soustraire.
« L’effet Bruxelles » est donc le terme choisi pour décrire le pouvoir unilatéral dont dispose l’UE pour réguler les marchés sur le plan global. Par ce moyen, elle peut adopter directement des réglementations, qui ont pour effet de façonner l’environnement des affaires, ainsi que des pans entiers de la réglementation du commerce mondial. L’UE prend donc la place d’« une autorité régulatrice hégémonique globale », dont la réglementation s’impose dans la vie des marchés. Pour cela, plusieurs conditions doivent être réunies : la taille du marché européen est une condition importante mais pas suffisante, car elle doit s’accompagner de la capacité de régulation ainsi que de la volonté politique de générer des règles contraignantes. L’effet est optimal quand l’UE réglemente des marchés inélastiques : par exemple dans le domaine des biens de consommation. Enfin, les standards européens deviennent globaux quand une entreprise décide d’adopter cette norme comme standard unique parce que l’avantage de l’unicité l’emporte sur celui de la segmentation.
La démarche adoptée par l’auteur doit aussi être soulignée : elle développe sa démonstration de façon articulée et nuancée, dans un style très épuré. Dans une première partie, elle expose les fondements théoriques de « l’effet Bruxelles ». Dans une deuxième, elle démontre et illustre de façon empirique comment s’exerce cette influence à travers des études de cas : les règles de concurrence, l’économie numérique, la santé et la sécurité des consommateurs, ou encore les règles environnementales. Enfin, elle s’efforce dans une troisième partie de dresser un bilan de « l’effet Bruxelles », et s’interroge sur ce qui pourra résulter à terme des redistributions de puissance en cours sur le plan global, des innovations technologiques, ou encore des risques de fragmentation interne de l’UE.
Même si l’avenir de « l’effet Bruxelles » est difficile à prévoir, il a déjà démontré sa résilience. Beaucoup dépendra de la façon dont les bienfaits qu’il apporte en termes de sécurité et de qualité de vie seront reconnus et valorisés sur le plan global, par rapport aux résistances qu’il génère, en apparaissant comme l’expression d’un impérialisme réglementaire, comme un obstacle à l’innovation et un protectionnisme déguisé. « L’effet Bruxelles » sera‑t‑il évincé par « l’effet Pékin » ?
Éric-André Martin
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