Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère 
(n° 3/2020)
. Gaylor Rabu propose une analyse de l’ouvrage de Bruno Tertrais
, Le choc démographique (Odile Jacob, 2020, 256 pages).

Simple défi ou authentique révolution, crash ou explosion, véritable bombe ou – désormais – plus modérément choc, l’évolution démographique semble exposée aux travers des passions analytiques. Pour autant, Bruno Tertrais tient ici une plume sûre et plus mesurée que le choix éditorial de son titre ne le laisse présager. S’engager dans une démarche prospective relève du défi : si la démographie s’appuie sur des constantes statistiques, elle n’est pas déterministe – comme le rappelle l’auteur – mais probabiliste.

Cet ouvrage, tiré d’une monographie de 2018 de l’Institut Montaigne, est sans conteste à lire. D’une part il présente analyse synthétique, chiffrée et actualisée des enjeux politico-démographiques. D’autre part, le propos équilibré laisse le plus souvent place à une disputatio qui amène logiquement à des conclusions plus nuancées que les discours politiques et journalistiques. Sur le plan de la méthode, malgré des choix de données discutables (valeurs relatives créant un biais modérateur contre valeurs absolues à l’effet grossissant, enquêtes confrontées à des données statistiques brutes), le lecteur ne saurait reprocher à l’auteur d’avoir succombé à la facilité ou de mener une réflexion dépourvue de rigueur.

Le constat général est d’entrée formulé : vieillissement des pays occidentaux, urbanisation, accroissement rapide de la population africaine, mouvements migratoires et recomposition des populations. Puis l’auteur s’interroge sur un éventuel changement de hiérarchie des puissances. Observant le déclin européen, russe et à terme peut-être chinois, il souligne la fenêtre s’offrant à l’Inde, et reste prudent sur l’avantage comparatif américain. Rejetant le néo-malthusianisme et les crises environnementales qui pourraient en résulter, il avance des solutions possibles aux maux de la croissance démographique, bien que leur efficacité demeure insuffisamment étayée. L’incidence de ces évolutions sur l’« arc de crise » est jugée avec raison, même si le sujet n’est évoqué qu’en quelques pages.

La question migratoire demeure centrale dans l’étude. Les présupposés sont utilement démystifiés et les enjeux appréhendés sans coquetterie intellectuelle. En ressort notamment une réflexion judicieuse sur les rapports entre stocks et flux de populations. De même, la corrélation entre le rejet de l’immigration et la perception locale de ce qu’elle est au niveau national est passionnante : elle témoigne de la difficulté d’articuler le traitement statistique à vocation objective à la subjectivité des peuples. En revanche, quelques propositions mériteraient d’être approfondies. Comme souvent, les effets cumulatifs – y compris générationnels – des mouvements migratoires, suivis d’installations temporaires ou définitives, ne sont qu’effleurés. L’impact du droit du sol sous toutes ses formes n’est pas abordé alors qu’il est le premier vecteur des recompositions de population. Ainsi il est peu pertinent d’analyser séparément les politiques migratoires des États membres de l’Union européenne, dès lors que les traités et la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne promeuvent une conception extrêmement accueillante de la « citoyenneté » européenne et des droits qui en découlent.

Toutes les nuances de gris de la réalité ne ternissent pas la clarté de l’ouvrage de Bruno Tertrais. Elles conduisent au contraire à juger que les changements démographiques ne s’accompagnent pas systématiquement de progrès ou de désastres, mais produisent simultanément des effets positifs et négatifs.

Gaylor Rabu

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