Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2020). Martin Quencez propose une analyse de l’ouvrage de Alexander Cooley et Daniel Nexon, Exit from Hegemony: The Unraveling of the American Global Order (Oxford University Press, 2020, 256 pages).
La présidence de Donald Trump a vu se multiplier les ouvrages et articles traitant du déclin des États-Unis sur la scène internationale. Comme le rappellent les auteurs, l’idée n’est pas nouvelle : depuis 1945, elle est même régulièrement mise à jour lors de périodes de troubles politiques, économiques et stratégiques, et ces prédictions se sont révélées peu probantes. Pourtant, cet ouvrage offre une réflexion originale sur la fin de l’hégémonie américaine et sur les différents facteurs internes et externes qui l’expliquent. Écrite avant la crise du COVID-19, l’analyse des deux auteurs se veut ancrée dans l’actualité : si Donald Trump n’est qu’un symptôme de la crise actuelle, sa présidence permet largement d’expliquer pourquoi – cette fois-ci – l’incapacité des États-Unis à garder leur rôle d’hegemon est bien réelle.
La thèse s’articule en huit chapitres plus ou moins théoriques. Après avoir détaillé les raisons historiques et structurelles du « système hégémonique américain » et de sa déchéance, Alexander Cooley et Daniel Nexon soulignent l’abandon par l’administration Trump des principes fondateurs de l’ordre international post-guerre froide qui ont permis aux États-Unis de profiter d’une situation d’hégémonie incontestée pendant près de trente ans. Ils éclairent les éléments singuliers de cette destruction made in America : alors que les prédécesseurs de Donald Trump ont souvent ignoré et affaibli les valeurs et normes libérales à l’international, le président actuel est le seul à fonder sa politique étrangère sur leur critique systématique et explicite.
Le dernier chapitre propose une intéressante prospective sur l’ordre international qui surgira de cette période de transition. Trois scénarios sont étudiés : le plus détaillé concerne l’émergence d’une nouvelle bipolarité entre les États-Unis et la Chine ; le second expose l’hypothèse d’une multipolarité « réaliste », organisée autour de sphères d’influence ; le dernier dessine une forme d’ordre libéral – au moins pour les piliers économiques et intergouvernementaux –, gouverné par un système oligarchique. Dans tous les cas, les auteurs rejettent l’idée d’un retour possible à un ordre libéral organisé autour de l’hégémonie américaine.
Il est parfois difficile de savoir si l’ambition du livre est de démontrer la fin de l’ère post-1989, ou celle de l’ordre post-1945. L’argumentation est toutefois convaincante lorsqu’elle met en lumière l’affaiblissement rapide des mécanismes et infrastructures soutenant l’hégémonie américaine dans le monde. Tous les ingrédients – au moins théoriques – d’un changement de paradigme semblent en effet réunis et gagnent en intensité durant l’administration Trump.
Les critiques portées à l’encontre du président américain et de la politique étrangère de son administration sont connues et peuvent sembler peu originales. La comparaison avec Mikhaïl Gorbatchev mérite néanmoins d’être notée. Et ces critiques se révèlent enfin utiles pour mieux comprendre ce qui distingue le trumpisme des administrations précédentes, et déconstruisent en partie l’idée d’une continuité forte avec Barack Obama ou George W. Bush.
Les recommandations finales s’avèrent assez prévisibles – investir dans la recherche et les infrastructures, renforcer la coordination avec des alliés partageant les mêmes valeurs… –, mais l’ouvrage est un sérieux ajout à la littérature sur la fin de l’ordre libéral international, et il alimentera bien les débats sur le rôle futur des États-Unis.
Martin Quencez
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