Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère 
(n° 3/2020)
. Marie-Pierre Rey propose une analyse de l’ouvrage de Sophie Momzikoff-Markoff
, Les hommes de Gorbatchev. Influences et réseaux (1956-1992) (Éditions de la Sorbonne, 2020, 358 pages).

Tiré d’une thèse soutenue en 2015 à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et structuré en huit chapitres chronologiques, cet ouvrage traite de la perestroïka gorbatchévienne et plus particulièrement de la « nouvelle pensée », c’est-à‑dire de l’ensemble des principes et pratiques qui dominèrent la politique extérieure du dernier secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS). Lancée à partir de 1986, cette nouvelle pensée contribua, en quelques années seulement, à l’émergence de relations internationales fondées sur un dialogue apaisé entre Est et Ouest, à la promotion de mesures de désarmement, et en fin de compte à la remise en cause de la guerre froide : autant d’éléments qui valurent à Mikhaïl Gorbatchev le Prix Nobel de la paix en 1990. C’est dire son importance.

Loin de se contenter de cerner la nature et l’ampleur de cette nouvelle pensée, l’ouvrage a cherché à en retrouver les origines et à en retracer la genèse. Car si la personnalité du secrétaire général a joué un rôle majeur dans son élaboration et sa mise en œuvre, les thèses qu’il énonce en 1986 n’étaient pas toutes inédites. Pour certaines, elles ont commencé à circuler dès les années 1970, de manière discrète et à l’insu de l’opinion, dans des groupes fermés et des réseaux proches du pouvoir. D’où l’intérêt, pour l’historien, de revenir avec précision sur les instances et les individus qui, en amont de la Perestroïka, ont esquissé, soutenu ou appelé de leurs vœux l’élaboration d’un projet diplomatique nouveau.

Pour ce faire, Sophie Momzikoff-Markoff a recours à un beau corpus d’archives, parmi lesquelles celles du PCUS, de la Fondation Gorbatchev, ou encore celles de l’Académie des sciences, auxquelles se sont ajoutés des fonds conservés aux États-Unis (ainsi des archives Volkogonov à Washington). Ces sources très diverses lui ont permis de bien approcher la nature et le fonctionnement des réseaux scientifiques et académiques qui, à partir de 1956, ont émergé dans le sillage du XXe Congrès et formé peu à peu une nouvelle « intelligentsia internationale ».

Apparemment très diverse, composée de consultants, de directeurs d’instituts rattachés au PCUS, de journalistes et d’universitaires, cette intelligentsia fait l’objet d’une analyse qui retrace de près le parcours de treize de ses représentants, au nombre desquels : Georgi Arbatov, Valentin Faline, Evgueni Primakov, ou encore Vadim Zagladine. Or, le suivi précis de ces treize destins qui n’ont cessé de s’entrecroiser est éloquent : leurs lieux de formation et d’apprentissage, leurs diplômes, leurs réseaux d’amitié dessinent un groupe éduqué qui, au-delà de son apparente diversité, apparaît relativement homogène.

Née dans les années 1920, formée à la MGU (Université de Moscou) ou au MGIMO (Institut d’État des relations internationales de Moscou), cette génération qui prend très tôt ses distances par rapport à la vulgate marxiste-léniniste fait ses premières armes dans les années 1970, pesant alors sur les dossiers diplomatiques les plus brûlants (dialogue stratégique avec les États-Unis, conférence d’Helsinki, question allemande…), et c’est tout naturellement que, visant à remettre en cause les poncifs, sinon les mythes, qui jusqu’alors encadraient l’action diplomatique soviétique, elle contribua à la révolution orchestrée par Gorbatchev sur le plan international. Tout le mérite de l’ouvrage est de l’avoir sortie de l’ombre.

Marie-Pierre Rey

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