Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n° 3/2020). Serge Caplain propose une analyse de l’ouvrage de M. Mokhtar Ould Boye et Charles Michel, Victoire dans les dunes. L’enlisement de la crise sahélienne n’est pas inéluctable : l’exemple mauritanien (L’Harmattan, 2020, 210 pages).

Coincée entre ses puissants voisins du Nord (l’Algérie et le Maroc) et son bouillonnant voisin de l’Est (le Mali), l’immense Mauritanie a parfois été un peu oubliée de l’actualité internationale. Confrontée durant des années à l’instabilité politique et à l’insécurité endémique de la bande saharo-sahélienne, cette république – islamiste dès son indépendance – fait pourtant figure d’exemple en ayant triomphé des groupes armés terroristes qui sévissaient sur son sol depuis 2005.

C’est cette « approche mauritanienne » de sécurité qui est décryptée par les colonels Mokhtar Ould Boye et Charles Michel. S’appuyant sur leur expérience opérationnelle et leur connaissance de la région, ces officiers offrent, par leurs regards croisés de Mauritanien et de Français, une lecture éclairante de la stratégie adoptée par la Mauritanie, dans sa complexité et sa spécificité.

Constitué de trois chapitres de tailles inégales, l’ouvrage fait judicieusement la part belle, dans sa première partie, à la compréhension du phénomène terroriste de la région. « Le Sahara n’a jamais été un espace de quiétude et de paix absolues », rappellent les auteurs qui évoquent – bien avant l’intégrisme – comment l’exode rural, la transition démographique, le désenchantement de la jeunesse et surtout la pénurie d’État ont alimenté le recrutement terroriste. Dans ces immensités délaissées, carrefours de trafics en tous genres (notamment drogue et armes), les djihadistes refoulés des crises algériennes, afghanes ou libyennes trouvent, à la fin des années 1990, un terreau idéal.

La deuxième partie développe la stratégie globale et adaptée que la Mauritanie a progressivement mise en place pour faire face aux actions terroristes sur son sol entre 2005 et 2011. S’appuyant sur un islam rigoureux et tolérant, c’est sur le terrain théologique que le premier combat va être mené, par des imams fidèles à la République, diffusant un contre-argumentaire religieux aux théories salafistes. Sur le plan sécuritaire, les moyens sont donnés aux armées, incluant recrutement et fidélisation par la valorisation des soldes, en plus d’achats d’équipements (avions de combat légers, véhicules 4 × 4, etc.). Surtout, la Mauritanie puise sa force dans sa géographie et sa population. Le renseignement y est développé : les routes traditionnelles de transit sont étroitement surveillées, tandis que des pans entiers de désert deviennent interdits. L’adhésion des peuples est gagnée par une politique volontariste d’aménagement du territoire qui réaffirme le rôle de l’État.

Le troisième chapitre aborde plus particulièrement le rôle du Collège de défense du G5-Sahel, partie intégrante de cette stratégie. Cette école de guerre multinationale a vocation à fournir aux pays du G5 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) les dirigeants militaires de demain. Former collégialement ces officiers aux meilleurs standards antiterroristes participe activement à resserrer les rangs des différents pays de la région contre une menace commune.

Somme toute, ce livre rend espoir en un Sahel enfin stabilisé. Rien n’est inéluctable, si une volonté politique indéfectible s’appuie sur les énergies locales pour appliquer fermement une stratégie adaptée. On pourra peut-être reprocher un propos très bienveillant à l’égard de l’ancien président Azziz, mais son caractère interculturel est indispensable à quiconque, expert ou néophyte, entend comprendre la complexité de la situation au Sahel et les possibles voies de sorties de crise.

Serge Caplain

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