Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Charles-Philippe David et Élisabeth Vallet, Comment Trump a-t-il changé le monde ? (CNRS Éditions, 2020, 144 pages).
Donald Trump a changé le regard des États-Unis sur eux-mêmes, et celui du monde sur les États-Unis : en ce sens, il y aura bien un avant et un après-Trump. Mais a-t‑il créé un monde neuf, radicalement réorienté la stratégie américaine et, compte tenu du poids des États-Unis, l’ensemble des relations internationales ?
La litanie des décisions de Trump prenant le contre-pied de ses prédécesseurs et contredisant la représentation occidentale du monde post-bipolaire – le fameux « ordre international libéral » dont les années 1990 auraient représenté l’acmé – est connue : contestation tous azimuts des procédures et institutions multilatérales, mise en cause des règles commerciales internationales, abandon du discours du leadership moral au profit de l’America First, réarmement, promotion de la fermeture des frontières, minage de l’alliance occidentale, bienveillance pour les populismes de toutes natures, mise en cause, en interne, des règles de la démocratie américaine… Le passage de la New Frontier kennedyenne au mur mexicain est rude : d’une vision de frontière ouverte à dépasser, à celle d’une clôture imposée à soi-même comme illusoire sauvegarde.
Si le bilan de la présidence Trump est hélas aisé à dresser, son sens et son poids historiques sont moins clairs. Trump représente-t‑il une rupture radicale, ou l’interprétation bruyante, hystérique, de tendances de fond ouvertes avec le siècle ? Trump est-il un révolutionnaire, ou l’interprète mal élevé d’une Amérique qui découvre qu’elle ne peut plus jouer à l’omnipuissance, que l’Occident n’a plus le monopole économique du monde, que ses armes ne dominent plus les rapports de force d’une scène internationale éclatée ?
L’essai de Charles-Philippe David et Élisabeth Vallet semble privilégier l’idée que l’accumulation des décisions et foucades de Trump constitue bien une rupture avec une évolution déjà entamée par George W. Bush, ou même Barack Obama. Il permet aussi de s’orienter dans les grands débats stratégiques d’outre-Atlantique – avec une remarquable batterie de références à la littérature nord-américaine – : entre les avocats de la stratégie concurrentielle, de l’équilibrage collectif, de la stratégie hégémonique libérale, du repli…
Les auteurs concluent à juste titre qu’une réorientation majeure des grands choix américains sera difficile, même après une présidentielle ayant fait justice de Trump. Ce qui est à l’œuvre, en effet, c’est un véritable changement de monde : sans doute la déconstruction d’un système que l’idéologie occidentale nommait « ordre international libéral », rêvant d’une universalité qui n’a jamais existé. Donald J. Trump est l’un des visages du nouveau monde…
Une Amérique plus prévisible, plus démocrate, plus aimable avec ses alliés, serait certes plus rassurante. Mais suffirait-elle à garantir l’ordre d’un monde qui, globalement, cherche à s’affranchir d’elle ? Faut-il regretter – et chercher à restaurer – un ordre occidental sous hégémonie américaine qui appartient sans doute à l’histoire, ou inventer de nouveaux modes de stabilisation pour une scène internationale qui demeurera longtemps écartelée entre puissances qui se cherchent ? Nous aimons l’Amérique « bienveillante », mais les puissances peuvent-elles être bienveillantes quand leur système de domination s’érode ?
Dominique David
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