La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article de Rémy Rioux et Jean-David Naudet, « Développement et lutte contre la pauvreté : de la réconciliation au changement d’échelle », publié dans le nouveau numéro de Politique étrangère (n° 1/2021), disponible depuis le 8 mars.

La construction des politiques publiques de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement a près de 60 ans. Elle s’est souvent faite à travers des oppositions entre différentes conceptions, et des allers-retours historiques. Deux débats structurants ont particulièrement dominé la scène du développement.

Le premier porte sur les politiques nationales et locales : le développement doit-il se faire par le haut ou par le bas, par une croissance économique qui tire la société ou par une élévation des niveaux sociaux qui pousse l’économie, par les élites ou par le peuple, par les grands projets ou par la multiplication des actions locales de plus petite dimension ? Le second débat concerne les politiques internationales : la lutte contre la pauvreté mondiale peut-elle être menée en totalité et de façon indépendante aux échelons nationaux (et locaux) respectifs, ou induit-elle des interdépendances qui appellent à des changements globaux ?

Se replonger dans ces oppositions permet de mesurer combien l’adoption par la communauté internationale des Objectifs du développement durable (ODD) en septembre 2015 constitue, à l’issue d’un long chemin, une forme de réconciliation de ces approches longtemps alternatives.

Pourtant, à l’heure de cette réconciliation et du constat des progrès significatifs réalisés ces dernières décennies en matière de lutte contre l’extrême pauvreté, la crise du COVID-19 et, de manière plus profonde encore, le dérèglement climatique mondial, conduisent à un retournement durable. Pour faire face à ces nouveaux défis, il faudra construire sur les leçons du passé, mais en changeant d’échelle en matière d’action à tous les niveaux : international, national comme local.

Développement par le haut ou par le bas ?

Le développement a d’abord été vu, dans les années 1950 et 1960, comme un processus progressif de modernisation, et tout particulièrement d’industrialisation. Les pionniers de l’économie du développement s’intéressent en tout premier lieu aux politiques et projets d’investissements et de transferts de technologies qui président à la construction d’un secteur moderne. La vocation de ce dernier est de s’étendre, et de tirer progressivement l’ensemble de la société, selon des phases historiques successives, pendant lesquelles les inégalités sont temporairement appelées à s’accroître.

C’est dans le contexte politique et culturel fécond de la fin des années 1960 que la problématique de la pauvreté fait son apparition dans les débats sur le développement. L’émergente médiatisation de masse diffuse aux yeux du monde les premières images de l’extrême pauvreté au Biafra à partir de 1967, puis au Sahel en 1973, et suscite la naissance du mouvement humanitaire international. La malnutrition devient un problème central du développement et de la communauté internationale, entraînant notamment l’affirmation d’un courant de pensée néomalthusien. C’est aussi le temps des premières déceptions sur les stratégies de modernisation, et plus encore le « ruissellement » qui en était mécaniquement attendu. Les sociétés en développement apparaissent profondément et durablement duales, donnant d’ailleurs naissance au concept de secteur informel.

En 1970, après un cri d’alarme sur le risque de famine en Asie4, le futur prix Nobel d’économie Gunnar Myrdal publie The Challenge of World Poverty: A World Anti-Poverty Program in Outline5. Dans cet ouvrage, il prône « un mouvement vers le haut de tout le corps social en matière de besoins fondamentaux », plutôt qu’une traction par une modernisation ruisselant vers le bas. Ce débat opposant les approches par le haut ou par le bas se retrouve notamment dans les politiques de réforme agraire, mais aussi dans d’autres secteurs : promotion de l’agriculture familiale vs. nouvelles plantations industrielles, sécurisation foncière et amélioration de l’habitat spontané vs. construction de nouveaux programmes immobiliers, etc.

Dans la seconde moitié des années 1970, les organisations internationales mettent la question de la pauvreté et celle de la redistribution en tête de leurs priorités : la Banque mondiale avec le concept de « Redistribution with Growth », le Bureau international du travail (BIT) avec l’approche par les Biens essentiels lancée en 1976, etc. Mais sous de multiples influences – contre-révolution libérale, crise de la dette des pays en développement, exemples de réussite par la croissance des nouveaux pays indépendants –, la lutte contre la pauvreté a ensuite été mise entre parenthèses pendant une décennie. Durant cette période, les stratégies de développement, à nouveau vues « par le haut », ont été entièrement centrées sur les politiques économiques et les réformes structurelles, et indirectement sur le rôle des élites.

Au vu des résultats mitigés et de la faible appropriation des politiques d’ajustement structurel, la décennie 1980 est parfois appelée « la décennie perdue du développement », à l’exception notable de l’Asie. Dès la fin de la décennie, notamment au travers du concept de développement durable, les questions sociales s’affirment dans le discours, en même temps qu’émerge la préoccupation environnementale.

L’année 1990 marque un tournant. La Banque mondiale adopte le « rêve » d’un monde sans pauvreté, et consacre son Rapport annuel sur le développement au thème de la pauvreté. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) lance le concept de développement humain, et son indicateur associé, inspiré par Amartya Sen, qui contribue par ailleurs à mettre en lumière la dimension multiple de la pauvreté. Les Nations unies lancent l’objectif de l’éducation pour tous. Les engagements internationaux se succèdent jusqu’en 2000 où les Objectifs de développement du millénaire, centrés sur la lutte contre la pauvreté, sont adoptés par l’ensemble de la communauté internationale.

Lisez l’article dans son intégralité ici.

Suivez-nous sur Twitter : @Pol_Etrangere !