Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Nele Wissmann, chercheuse associée au Comité d’études des relations franco-allemandes de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Bénédicte Laumond, Policy Responses to the Radical Right in France and Germany: Public Actors, Policy Frames, and Decision-Making (Routledge, 2020, 256 pages).

Basé sur une thèse de 2017, cet ouvrage a encore gagné en actualité avec le meurtre de Walter Lübcke, président du district de Kassel le 15 juin 2019, l’attaque antisémite contre une synagogue à Halle le 9 octobre 2019, ainsi que l’assassinat de neuf personnes dans deux bars à chicha à Hanau le 20 février 2020. L’analyse de l’extrémisme et du terrorisme de droite sort d’une niche scientifique pour s’exposer aux projecteurs médiatique et politique.

L’observation et l’évaluation françaises de la lutte allemande contre les menaces d’extrême droite sont souvent limitées par l’ignorance des possibles champs d’action allemands en la matière, ainsi que par la méconnaissance de la vision démocratique propre à l’Allemagne. Ainsi, la présente publication a une valeur ajoutée scientifique incontestable. L’extrémisme de droite étant également une menace en France et dans d’autres démocraties européennes, cette publication doit aussi être vue comme un cadre de référence pour les meilleures pratiques dans la lutte contre l’extrême droite. Le texte évalue notamment la manière dont les deux démocraties, France et Allemagne, abordent le paradoxe de la tolérance : comment des démocraties libérales peuvent-elles restreindre les droits qu’elles défendent – comme la liberté d’expression – pour réprimer les forces intolérantes qui menacent la démocratie ?

Un résultat de la recherche se distingue particulièrement. En Allemagne, les principes hérités de la démocratie militante de Loewenstein ont été inscrits dans la Loi fondamentale et, à partir de ces fondements juridiques, les acteurs politiques et étatiques ont élaboré une doctrine d’État qui empêche l’ordre démocratique de subir les menaces politiques extrémistes. La démocratie militante (wehrhafte Demokratie) est par conséquent une caractéristique clé de la politique allemande, qui s’exprime à travers des institutions comme l’Office fédéral pour la protection de la Constitution, et une politique anti-extrémiste bien établie. La construction d’une politique de répression du radicalisme politique, avec une distinction claire séparant l’extrémisme du reste du spectre politique – le premier étant une menace pour l’ordre constitutionnel et donc considéré comme anticonstitutionnel – a permis à l’Allemagne de s’adapter au paradoxe de la tolérance.

En France, le raisonnement des décideurs politiques est que le radicalisme de droite ne doit pas être abordé en termes politiques, sauf si les groupes sont violents ou expriment des opinions racistes. Il est ainsi plus difficile d’identifier un cadre juridique complet permettant de combattre le radicalisme politique. Malgré tout, le cadre juridique français offre aujourd’hui un ensemble hétérogène de mesures axées sur la répression de la violence et du racisme qui, dans la pratique, contribuent à une répression efficace du radicalisme de droite.

Cet ouvrage doit être recommandé à tous ceux qui souhaitent examiner de près les réponses politiques apportées en Allemagne et en France à la montée de l’extrémisme de droite. Il est également une référence précieuse pour qui veut comparer les cultures politiques de l’Allemagne et de la France, qui ne sont pas toujours comprises dans leurs subtilités par les différents acteurs politiques et médiatiques.

Nele Wissmann

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