Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Paul Maurice, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Andreas Fahrmeir, Deutschland: Globalgeschichte einer Nation (C. H. Beck, 2020, 936 pages).

La sortie de l’Histoire mondiale de la France co-dirigée par Patrick Boucheron en janvier 2017 avait entraîné de nombreuses polémiques en France. Encensé par la plupart des critiques, l’ouvrage avait aussi été l’objet d’attaques violentes, notamment de l’académicien Pierre Nora – qui considérait que le caractère « décentré » y était exagéré –, mais aussi de polémistes conservateurs, estimant qu’il était partisan, ou allait à l’encontre du récit national communément admis. Mais c’était l’un des objectifs de ce projet – revendiqué comme politique – de Patrick Boucheron, que de faire un « anti-roman national ».

Depuis, le concept a été décliné pour d’autres pays et régions (Italie, Espagne, Sicile, Catalogne, Flandres). Si la version italienne, Storia mondiale dell’Italia, parue à l’automne 2017 n’a pas créé autant de polémiques, la version allemande, Deutschland: Globalgeschichte einer Nation, parue à l’automne 2020 a été plus discutée, notamment dans les milieux académiques.

Pour Andreas Fahrmeir, qui a dirigé l’ouvrage, l’inspiration du volume français est assez claire. Avec 177 articles et 172 auteurs répartis sur plus de 900 pages, l’ouvrage est organisé en chapitres courts et articulé autour de dates qui ne correspondent pas, de prime abord – dans leur chronologie ou leurs thématiques –, aux événements connus de l’histoire allemande. Par ailleurs, leur rédaction a été confiée à des chercheurs reconnus avec une volonté assumée de remettre en cause nombre d’idées reçues. Un tiers des articles couvre la période allant jusqu’à la rupture de la Révolution française (1789), les deux tiers restants les 230 dernières années. Ce déséquilibre chronologique peut s’expliquer par le titre choisi, la « nation allemande » – qui n’a été discutée et formalisée qu’au xixe siècle, notamment après les Discours à la nation allemande de Fichte en 1808.

L’avant-propos d’Andreas Fahrmeir tente d’expliquer ce qu’il entend par l’« histoire globale ». Mais le défaut théorique de l’ouvrage repose sur le fait qu’il ne la définit pas assez précisément, ni d’ailleurs l’« Allemagne » (née en 1871), ou la « nation » – termes historiquement très controversés. On peut également regretter que cette « histoire globale » – au sens d’évolutions mutuellement interconnectées et en interaction – se consacre presque toujours à l’Europe.

Enfin, l’histoire du communisme est la grande absente de l’ouvrage. Bien qu’il consacre un chapitre au Manifeste du parti communiste (1848), l’apparition du mouvement ouvrier y est cantonnée à un phénomène historique du xixe siècle. Son évolution vers le communisme au xxe siècle n’est pas expliquée. Après 1945, c’est le modèle de réussite de la République fédérale d’Allemagne (RFA) qui est au centre du propos, et la République démocratique allemande (RDA) est à peine évoquée. Sur une vingtaine de contributions portant sur la période 1949-1989, une seule concerne spécifiquement la RDA : « Les travailleurs immigrés vietnamiens » (1980). Même la chute du mur de Berlin et la « révolution » de 1989 sont davantage envisagées comme un phénomène interallemand, et une ouverture sur la réunification, que comme un phénomène né en RDA.

L’ouvrage doit certes être lu, dans sa démarche, dans la perspective qu’avait proposée l’ouvrage français. Il doit aussi être lu, dans son contenu, avec les spécificités de l’histoire allemande. Dans les deux cas, il faut saluer l’exercice, mais aussi en souligner les limites.

Paul Maurice

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