Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Hans Stark propose une analyse de l’ouvrage de James D. Bindenagel, Germany from Peace to Power? Can Germany Lead in Europe without Dominating? (Bonn University Press, 2020, 224 pages).

Ancien ambassadeur américain en Allemagne, James D. Bindenagel consacre une étude riche et documentée à la transformation de la politique étrangère de l’Allemagne depuis son unification. Si le sous-titre de l’ouvrage suggère que l’idée d’une domination allemande en Europe est intégrée aux hypothèses de l’auteur, ce dernier écarte cette perspective en se focalisant sur les aspects positifs du rôle de l’Allemagne en Europe et dans le monde – sans pour autant s’abstenir d’approche critique.

Mais l’auteur est à mille lieues de partager les diatribes d’un Donald Trump contre Berlin, même s’il estime, à l’instar de l’ancien président américain, que la politique d’austérité de l’Allemagne, le sous-financement de son armée, sa retenue militaire, ainsi que la priorité accordée à la politique commerciale et à l’accumulation d’excédents commerciaux, affaiblissent le rôle international du pays et l’ordre multilatéral auquel la République fédérale se dit pourtant si attachée.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à la chute du Mur de Berlin, à la disparition de la République démocratique allemande (RDA) et à l’unification, à partir d’une réflexion sur le rétablissement de l’intégrité territoriale allemande. James Bindenagel rend ici surtout hommage au caractère pacifique de ce qu’il qualifie de « révolution », évoquant les changements en Allemagne de l’Est entre octobre 1989 et 1990. La deuxième partie est consacrée au « problème allemand » (qui remplace donc la « question allemande »…) : savoir, le choix impossible entre respect d’une souveraineté nationale dorénavant reconquise et obligations croissantes envers l’Europe. Les prises de position critiques de la Cour constitutionnelle allemande sur les plans d’aide de la Banque centrale européenne (BCE) ou, plus récemment sur le plan de relance de l’Union européenne (UE), en témoignent.

Pour l’auteur, le dilemme – choisir entre respect du cadre national et devoirs envers l’UE d’un côté, et de l’autre entre tentation unilatéraliste et pesanteurs d’un leadership partagé, notamment avec la France – s’inscrit en plus dans un contexte géopolitique peu favorable pour Berlin : unilatéralisme américain sous Trump, défi lancé par la Chine, menaces venant de la Russie, alors que l’Allemagne unifiée avait misé sur un triple partenariat militaire avec Washington, commercial avec Pékin et énergétique avec Moscou. Ces changements tectoniques de l’équilibre mondial accroissent encore la dépendance de l’Allemagne vis-à-vis du cadre européen. Une situation qui pose avec une nouvelle acuité le problème du rôle de Berlin dans l’eurozone (dont les contradictions sont parfaitement mises en lumière par l’auteur), tout comme celui des limites du concept de Zivilmacht Deutschland.

Dans la troisième et dernière partie de son ouvrage, l’ambassadeur Bindenagel se fait l’avocat d’un engagement allemand beaucoup plus prononcé au niveau militaire. Pointant les déficits chroniques de Berlin en matière de planification stratégique, et son refus d’admettre la nécessité d’une capacité de prévision stratégique de long terme (strategic foresight), l’auteur plaide pour une politique de sécurité stratégique autonome à l’échelle allemande et européenne. L’Allemagne ne peut plus, à ses yeux, se contenter d’être une puissance de paix (Friedensmacht) : elle doit devenir, simplement, une puissance…

Hans Stark

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