Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Florian Vidal, chercheur associé à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Thierry Garcin, Géopolitique de l’Arctique (Economica, 2021, 256 pages).
L’Arctique condense à elle seule de nombreux enjeux contemporains qui mobilisent la communauté internationale : changement climatique, exploitation des ressources naturelles, gouvernance multiscalaire, application d’un cadre normatif et réglementaire, doctrines stratégiques, etc. Dans ce précis à la fois synthétique et exhaustif, Thierry Garcin expose les évolutions historiques de la zone circumpolaire et met en perspective les grands défis actuels qui l’entourent.
Des expéditions scientifiques du XIXe siècle à l’affirmation des ambitions géoéconomiques de la Chine au cours de ce premier quart du XXIe siècle, l’Arctique se positionne comme un objet géopolitique à part entière et intégré dans la compétition mondiale entre grandes puissances. Parmi les dix chapitres qui subdivisent l’ouvrage, plusieurs mettent en lumière trois points fondamentaux : les dimensions juridiques, économiques et stratégiques.
Dans cet environnement avant tout maritime, le règlement des différends juridiques reste soumis au cadre normatif régi par la convention de Montego Bay (1982). Si la signature, en septembre 2010, d’un traité bilatéral entre la Norvège et la Russie sur la délimitation de la frontière maritime constitue une avancée remarquable, la question de la délimitation du plateau continental des cinq États riverains n’est pas encore résolue. Autre enjeu de poids : le respect des droits des populations autochtones est aussi une composante primordiale dans l’application des politiques régionales et locales des États arctiques.
Dans une rivalité géostratégique en gestation, les grandes puissances – parmi lesquelles Chine, États-Unis et Russie – se livrent une bataille pour l’accès aux ressources (halieutiques, fossiles et minérales). Les voies de passage maritime, qui s’ouvrent grâce au réchauffement accéléré de l’Arctique, sont à cet égard un élément essentiel pour accéder à ces différentes richesses et les exporter sur le marché international.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, la région polaire s’est aussi introduite dans l’environnement stratégique pour devenir un des théâtres de la dissuasion nucléaire durant la guerre froide. Si l’auteur apporte un éclairage sur les forces militaires en présence, les conséquences de l’annexion russe de la Crimée en 2014 sur la région (multiplication des manœuvres militaires, renforcement des infrastructures, etc.) sont peu commentées.
On remarque enfin que l’auteur accorde un long développement aux enjeux autour du Groenland, dans un chapitre complet. Le croisement des intérêts politiques et économiques ainsi que l’importance géostratégique de cette vaste île, en particulier pour l’Union européenne, sembleraient rendre inéluctable une indépendance – selon la thèse ici défendue –, conclusion logique d’un long processus entamé dès le milieu du XXe siècle. Si cette indépendance demeure pourtant à ce jour bien incertaine, le livre rappelle à juste titre le poids des États-Unis, qui voient le Groenland comme un « tremplin » à partir duquel projeter leur puissance.
Dense, cette seconde édition décrit l’ensemble des dynamiques en œuvre dans la région polaire. En offrant une somme pluridisciplinaire, l’auteur livre une grille de lecture stimulante pour les étudiants et tous ceux qui souhaitent saisir la complexité d’un espace en pleine mutation.
Florian Vidal
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