Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Maxime Lefebvre propose une analyse de l’ouvrage de Maxence Brischoux, Le commerce et la force (Calmann-Levy, 2021, 272 pages).

C’est un essai riche, utile, brillant et stimulant que nous propose Maxence Brischoux, cadre dans une grande entreprise publique du secteur de l’armement et enseignant à l’université Paris-2 Panthéon-Assas.

Sa parution intervient à point nommé. La montée en puissance de la Chine, qualifiée de « rival systémique » par l’Union européenne en 2019 et de « défi systémique » par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord en 2021, questionne en effet la théorie du « doux commerce » que l’on doit à Montesquieu, ainsi que la stratégie qui a consisté à faire entrer l’Empire du milieu dans l’Organisation mondiale du commerce et à parier sur son développement économique.

Appuyé sur une vaste culture philosophique, Brischoux fait retour sur les diverses théories du commerce. Il nous montre par exemple que Platon y voyait un encouragement à la rapacité (« l’insatiable désir de posséder ») et donc un facteur de corruption des mœurs ; et qu’Adam Smith, théoricien du libre-échange, justifiait l’Acte de navigation de 1651, qui interdisait les ports britanniques aux navires étrangers afin de renforcer la marine marchande britannique, au motif que « la sûreté de l’État est d’une plus grande importance que sa richesse ».

Toute la thèse de l’ouvrage pourrait se résumer à cette dernière phrase, qui montre que ce n’est pas le commerce qui transforme la politique, mais la dimension politique qui l’emporte sur les considérations commerciales. Que l’auteur évoque le lien entre commerce et maîtrise des mers, entre commerce et domination (la colonisation), entre commerce et sanctions, entre commerce et puissance (comme l’illustre spectaculairement l’exemple de la Chine), entre commerce et environnement, entre commerce et démocratie, son analyse, aussi fine que variée, nous explique que le commerce ne va pas sans la vertu et relativise l’effet d’un commerce pacificateur qui canaliserait l’énergie humaine vers la croissance plutôt que les conflits, et adoucirait inéluctablement les mœurs. La politique commerciale, avec ses accords préférentiels de libre-échange, n’a d’ailleurs cessé de fonctionner selon une logique mercantiliste : ouvrir les marchés des autres.

Si l’auteur n’appelle pas à tourner le dos à l’enrichissement par le commerce et s’il n’invoque pas la théorie du « piège de Thucydide » développée par Graham Allison, sa conclusion réaliste est claire et sans appel : le commerce est façonné par la conflictualité des relations internationales plus qu’il ne la modifie ; il « doit être institué et non instituant » ; « les nations doivent gouverner le commerce et non pas se laisser gouverner par lui ». En mobilisant aussi bien Kant que Pierre Manent, Brischoux défend l’hégémonie bienveillante exercée par les États-Unis, « peuple puissant et éclairé », mais il appelle aussi les Européens à se ressaisir, à ne pas s’abandonner au primat de l’économie et à « l’esprit du commerce », à redécouvrir que la défense de la liberté – qui n’est pas le système de la Chine… – ne peut aller sans la force et la puissance.

Maxime Lefebvre

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