Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jason K. Stearns, The War That Doesn’t Say its Name: The Unending Conflict in the Congo (Princeton University Press, 2022, 328 pages).

L’ouvrage de Jason K. Stearns répond à une question que posent tous les conflits enlisés : pourquoi la guerre dure-t‑elle ? L’est de la République démocratique du Congo est en conflit depuis 1996, un conflit qui semble sans fin. Après avoir été très (trop) médiatisé, il fait partie de la liste des conflits oubliés. Pourtant, l’Ituri, le Nord et le Sud-Kivu – les trois provinces qui sont le théâtre du conflit – comptent environ 20 millions d’habitants, avec une superficie cumulée qui représente plus de quatre fois la Belgique.

Le nombre de groupes armés y est passé de 30 en 2008 à 122 en 2022 ; l’armée gouvernementale et les milices sont toujours à l’origine de nombreuses violations des droits de l’homme et restent largement impliquées dans l’exploitation illicite des ressources naturelles qui abondent dans la région. La présence de la plus grande mission de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU) (presque 18 000 casques bleus en 2021), l’intervention de nombreuses organisations non gouvernementales et la proclamation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri le 3 mai 2021 par le gouvernement n’ont en rien changé la donne sécuritaire. Dans cette partie de l’Afrique, ce n’est pas le développement qui est durable, mais la violence. C’est dire à quel point le livre de Jason K. Stearns répond à une question pertinente.

La question de l’enracinement de la conflictualité conduit à se tourner vers les acteurs du conflit et leurs « intérêts de guerre ». Jason K. Stearns recourt au concept de « military bourgeoisie » pour désigner le groupe social né des guerres du Congo (1996-2006), et qui prolonge la conflictualité dans l’est du pays. Après avoir retracé la longue et complexe histoire des guerres du Congo et rappelé le rôle important du voisin rwandais, l’auteur montre que ces guerres ont produit cette « military bourgeoisie » : un groupe social qui tire profit de l’économie de guerre. Ce groupe social comprend l’armée congolaise, les milices locales et les « politiciens entrepreneurs » congolais qui font de la politique un business. La durabilité de la guerre résulte également de l’extrême fragmentation des groupes armés, due à la stratégie « divide and rule » du gouvernement congolais, et aux intérêts communautaires locaux. Jason K. Stearns, excellent connaisseur de l’histoire locale des groupes armés de l’Est congolais, montre comment plusieurs d’entre eux illustrent la mécanique diabolique de cette guerre sans fin : la guerre a été transformée en une rente par un groupe social qu’elle a créé, et qui prospère grâce à elle.

La principale contribution de ce livre ne réside pas tant dans cette conclusion, déjà énoncée pour d’autres conflits (on songe aux longues guerres civiles du Liban, de Colombie, etc.), que dans un dernier chapitre intitulé Peacemaking and the Congo. Grâce à son excellente connaissance des acteurs, et notamment de l’ONU, l’auteur fait une revue critique de la politique de pacification depuis 20 ans, listant toutes les erreurs commises dans une totale bonne conscience : accords de paix déséquilibrés, sous-estimation de la dimension économique du conflit, stratégie « paix avant la justice » qui aboutit à une impunité généralisée, absence de réaction internationale face aux ingérences rwandaises, complaisance des bailleurs, solutions techniques à des problèmes politiques, etc. Ce livre montre ainsi que l’enlisement du conflit n’est pas seulement l’œuvre de ses acteurs et profiteurs directs mais aussi des faiseurs de paix bien intentionnés.

Thierry Vircoulon

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