Le premier tour de l’élection présidentielle au Brésil s’est tenu ce dimanche 2 octobre. C’est l’occasion de (re)lire l’article de Martine Droulers, « Le Brésil à l’aube de la présidentielle », publié dans le numéro 3/2022 de Politique étrangère.

Le Brésil célèbre en 2022 ses deux cents ans d’indépendance. En octobre de cette année, 145 millions d’électeurs seront appelés aux urnes pour l’élection présidentielle au suffrage universel. Quels sont les enjeux de cette élection ? Quels sont les grands défis économiques, territoriaux, sociaux et environnementaux à relever pour ce vaste pays aux forts contrastes ?

Le Brésil pourra-t‑il conserver son rang de puissance industrielle « émergée », champion des énergies renouvelables, des médicaments génériques, grenier agricole du monde et gestionnaire de la forêt amazonienne, alors même qu’il traverse une profonde crise politique et sociale ? Dans un contexte où les institutions sont ébranlées et où la croissance économique s’effondre, la nation brésilienne est entrée depuis quelques années dans une période de doute, cherche ses marques. Y a-t‑il une réponse typiquement brésilienne à la situation de crise que connaît cette jeune démocratie ?

D’une présidence « populaire » à une présidence « populiste » Après vingt ans de dictature militaire (1964-1984), le système démocratique actuel se met en place avec la nouvelle Constitution de 1988 et atteint quelques années plus tard un palier de maturité avec les présidences de Fernando Henrique Cardoso (centre-droit, 1995-2002) et de Lula da Silva (centre-gauche, 2003-2010). Le contexte de croissance mondiale des années 2000 permet de faire sortir de la précarité un grand nombre de Brésiliens et le pays émerge alors parmi les dix premières puissances économiques mondiales. Pourtant sa société demeure hétérogène, avec de fortes inégalités tant sociales que territoriales. Le contrecoup politique du choc économique de 2013-2014 est colossal. Alors que le président Lula termine son second mandat en 2010 avec 83 % d’opinions favorables, Dilma Rousseff, qui lui succède, subit un impeachment en 2016. Deux années plus tard, en pleine récession, un président populiste de droite arrive au pouvoir.

Croissance et démocratie, la belle équation des années 1990 et 2000

Sur le plan économique, entre 1995 et 2016, le Brésil s’est affirmé comme un global player. En interne, 100 millions de Brésiliens atteignent la catégorie de la « petite classe moyenne ». Le président Fernando Henrique Cardoso, sociologue de formation, a su établir la confiance des diverses catégories sociales et économiques dans le nouveau régime, juguler l’inflation et renforcer l’image d’un Brésil-État de droit. Son successeur, Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, issu du monde syndical ouvrier, incarne quant à lui la puissante mécanique d’inclusion sociale qu’opère la démocratie quand elle s’appuie sur une croissance soutenue.

Moyennisation de la société, accès élargi aux services publics et à l’éducation, système universel de santé, régularisation du marché du travail, protection des travailleurs, aides sociales familiales, retraites rurales, éradication de la faim : la croissance « ruisselle » alors sur toutes les catégories de la société brésilienne, notamment les plus modestes. En dépit du scandale de corruption politique (achat de voix) du mensalão de 2005, qui met en cause tout le Parti des travailleurs (PT) au pouvoir, la popularité du président Lula n’est pas ébranlée.

Au fil des années, le « lulisme » s’implante dans l’appareil d’État en cooptant les bureaucraties syndicales, les mouvements sociaux et les représentants des secteurs intellectuels. L’accord autour du projet du gouvernement rassemble le monde ouvrier (encore significatif dans cette période post-fordiste), le monde universitaire et culturel, le monde associatif et environnementaliste, ainsi que les élites économiques attirées par la politique de renforcement du capitalisme brésilien via l’affirmation de champions nationaux conquérants à l’international.

Sur la scène mondiale, le Brésil consolide son image en apparaissant comme un pays stable, multiplie les initiatives dans les conférences internationales et forge de nouvelles alliances. Les gouvernements Lula renforcent les liens avec les pays du marché commun pour l’Amérique du Sud (Mercosur) et de l’Amérique du Sud, engagent une coopération avec les autres BRIC (Russie, Inde, Chine) ainsi qu’avec les pays d’Afrique, et contribuent aux opérations de maintien de la paix des Nations unies.

Durant cette période, le pays « émerge » comme grande puissance, pratique le non-alignement économique et commerce largement avec la Chine. Dans le même temps, la société brésilienne consomme davantage, tout en manifestant de nouvelles attentes et exigences en matière de gouvernance et d’environnement.

La politique d’investissement et de redistribution est rendue possible par une croissance économique soutenue, le produit intérieur brut (PIB) progressant alors de 4 % par an dans un contexte mondial favorable. L’appel d’air créé par la croissance chinoise contribue à la belle équation démocratique de cette période, associant croissance et inclusion sociale, qui reste la marque des gouvernements Lula et fonde, avec sa personnalité charismatique, la popularité qu’il conserve jusqu’aujourd’hui. […]

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