Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2022 de Politique étrangère (n° 3/2022). Marc Hecker, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de David Martinon, Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul (L’Observatoire, 2022, 304 pages).

L’image de David Martinon reste attachée à Nicolas Sarkozy, dont il fut porte-parole à l’Élysée en 2007-2008, après avoir été son conseiller diplomatique place Beauvau. C’est dans le cadre de cette fonction auprès du ministre de l’Intérieur qu’il découvre Kaboul en 2002. Le gouvernement cherche alors à fermer le camp de Sangatte, où affluent des milliers de réfugiés, dont beaucoup d’Afghans.

En 2018, David Martinon retourne en Afghanistan, en qualité d’ambassadeur. Il y restera jusqu’à son évacuation, après la prise du pouvoir par les talibans. Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul n’est pas seulement – en dépit du titre – le récit des événements dramatiques de l’été 2021. Une bonne part de l’ouvrage est consacrée à la vie de l’ambassade avant l’offensive talibane, et à l’analyse des facteurs qui ont conduit à l’éviction du président Ashraf Ghani. La corruption est notamment pointée du doigt. L’équivalent de 4 à 8 plans Marshall ont été déversés en deux décennies sur le pays, créant « une économie de rente, celle de l’aide internationale, captée par les prédateurs de tous ordres ».

L’auteur livre quelques anecdotes qui en disent long sur les dysfonctionnements de la communauté internationale. Par exemple, après le scrutin présidentiel de 2019, entaché de fraudes, deux candidats se proclament vainqueurs : Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah. Alors que les ambassadeurs européens se réunissent pour s’accorder sur une position, le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité leur coupe l’herbe sous le pied en adressant un message de félicitations à A. Ghani. « Toute tentative de dénoncer le fait accompli du président est désormais impossible », commente le diplomate français.

David Martinon montre aussi comment la France a anticipé le retour des talibans et évacué plus de 600 personnes – dont de nombreux Afghans – entre le 20 mai et le 27 juin 2021. La position de l’ambassade était pourtant alors loin d’être consensuelle. Certaines organisations non gouvernementales critiquaient une forme d’alarmisme, dénonçant le risque d’une prophétie auto-réalisatrice. Et les autres États occidentaux refusaient d’engager des opérations de rapatriement jugées prématurées. Avec l’effondrement du régime, les évacuations se sont accélérées. L’auteur rend un hommage appuyé aux diplomates, policiers et militaires français qui ont pris des risques considérables pour tenter d’exfiltrer tous leurs compatriotes et un maximum d’Afghans.

L’ouvrage de David Martinon constitue un témoignage de première main sur une crise majeure. Il mérite assurément d’être lu. On exprimera néanmoins deux regrets. D’une part, l’ambassadeur évoque une manipulation des faits sur des interprètes de l’armée française qui auraient été abandonnés : on aurait aimé en savoir davantage, alors que des journalistes et des personnalités politiques ont dénoncé le sort des « harkis d’Afghanistan ». D’autre part, la presse n’a pas manqué de souligner que d’autres pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, etc.) avaient évacué nettement plus de personnes que la France. On supposera que cette différence est liée au fait que ces pays disposaient encore d’une présence militaire significative en Afghanistan au premier semestre 2021 : les explications de l’ambassadeur auraient, ici aussi, été utiles.

Marc Hecker

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