Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2022 de Politique étrangère (n° 3/2022). Denis Bauchard, ancien ambassadeur, propose une analyse de l’ouvrage de François Nicoullaud, Des atomes, des souris et des hommes. France-Iran : leurs relations nucléaires jusqu’à l’accord de Vienne (Hémisphères, 2022, 384 pages).

L’ambassadeur François Nicoullaud, à la fois acteur et témoin de la négociation nucléaire qui s’est étalée sur de nombreuses années, travaillait depuis quelque temps sur ce livre qui retrace plusieurs décennies de relations entre la France et l’Iran dans le domaine du nucléaire. Sa mort brutale ne lui a pas laissé le temps d’achever son ouvrage, finalisé par un petit groupe d’universitaires amis. Au cours de sa carrière, François Nicoullaud a été à plusieurs reprises au cœur de ce dossier sensible, tout d’abord à la sous-direction des affaires atomiques et spatiales (1978-1981), puis comme directeur de cabinet du ministre de la Défense (1991-1993), enfin comme ambassadeur en Iran de 2001 à 2005.

Si les prémices de ces relations franco-iraniennes peuvent remonter à 1944, leur histoire ne prend la forme d’une coopération très active qu’en 1974, entre la France du président Giscard d’Estaing et l’Iran du Chah au sommet de son pouvoir, avec un programme ambitieux de construction de centrales nucléaires, et l’association de l’Iran au projet d’Eurodif d’enrichissement d’uranium. En 1979, l’instauration de la République islamique met fin à cette coopération, qui laisse la place à des négociations difficiles sur les différents contentieux provoqués par cette rupture. À partir de 2003, la relation prend un tour nouveau avec l’initiative française puis européenne de négocier un accord qui aboutira, en novembre 2004, à la suspension provisoire des opérations d’enrichissement iraniennes susceptibles de conduire à des applications militaires.

En fait, à la suite de l’ouverture proposée par le président Obama, la négociation s’étend, à partir de 2009, au P5+1, soit les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne. Elle se conclura par l’accord de Vienne – le Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA – du 14 juillet 2015.

Par-delà la description des nombreux rebondissements de ces négociations, c’est toute la relation entre la France et l’Iran qui est ici évoquée, marquée par de multiples péripéties, allant de la coopération à la rupture des relations diplomatiques puis au « dialogue critique » avec le président Chirac jusqu’à une grave crise avec Nicolas Sarkozy, dans une ambiance quelque peu belliciste de part et d’autre. En définitive, la France se ralliera, non sans réticences, à l’accord de Vienne, qui devait être remis en cause par Donald Trump en 2018.

François Nicoullaud a arrêté son propos à cette date. La suite a été caractérisée par beaucoup de maladresses et d’occasions manquées. Après plus de vingt ans de négociations, celles-ci connaissent une impasse lourde de menaces pour la stabilité de cette zone hautement inflammable qu’est le golfe Persique.

Ce livre, fortement documenté à partir d’archives diplomatiques et de nombreux témoignages recueillis par l’auteur, constitue une référence pour tous ceux qui s’intéressent au dossier nucléaire iranien et à la politique menée par la France à l’égard de l’Iran depuis plus de 50 ans. Le récit de cette relation bilatérale permet de voir comment se bâtit une négociation, mais aussi comment celle-ci peut être parasitée, voire perturbée, par des considérations de politique intérieure ou par le jeu des opposants à une solution négociée.

Denis Bauchard

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