Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir en avant-première l’article du numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022) – disponible en librairie dès demain – que vous avez choisi d'(é)lire : « Vulnérabilités et risques de la zone euro », écrit par Norbert Gaillard, économiste et consultant indépendant, spécialiste de la notation financière.

Les trois années qui viennent de s’écouler ont été marquées par des événements de portée mondiale que peu de gouvernants, chercheurs ou investisseurs avaient anticipés. Certains de ces événements sont des « chocs », comme la pandémie de Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. D’autres constituent des accélérations, ou au contraire des inflexions, de tendances structurelles ; citons par exemple l’intensification du changement climatique et le rebond de la pauvreté.

Les mutations en cours demeurent difficiles à appréhender et donnent lieu à des diagnostics et des recommandations divergents de la part des intellectuels et experts, ce n’est pas nouveau. En revanche, elles ont provoqué un dissensus profond et inédit au sein de la communauté des conjoncturistes. […]

L’échantillon de prévisionnistes comprend une vingtaine d’entités (banques, instituts de recherche économique, bureaux d’information et d’étude financière et consultants). On constate que le fameux « consensus de marché » a volé en éclats en 2020. Auparavant, on observait à peine un point de pourcentage d’écart entre minima et maxima en matière de prévision de taux d’inflation et de croissance du PIB. Avec la pandémie mondiale, le différentiel a bondi pour ce qui est des prévisions de croissance, sans revenir au niveau d’avant crise. La même tendance est observée pour l’inflation au printemps 2022, en raison cette fois de la guerre russo-ukrainienne.

Pourquoi de telles divergences d’opinions ? Parce que les scenarii extrêmes, jugés ces dernières années très peu probables ex ante (mais impliquant de très grandes pertes économiques et financières), sont désormais envisagés sérieusement par certains économistes. On entend ici s’appuyer sur ce constat pour analyser les principaux risques auxquels est confrontée la zone euro et déterminer dans quelle mesure ils sont susceptibles de menacer sa pérennité. Seront abordés successivement la faiblesse géopolitique du continent, le danger inflationniste, et enfin les risques politique et systémique.

La faiblesse géopolitique de la zone euro et ses conséquences

La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022 a démontré la vulnérabilité militaire, énergétique et industrielle du continent européen.

La vulnérabilité militaire

La guerre russo-ukrainienne a provoqué un retour spectaculaire du risque géopolitique, trop négligé depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Jusque-là, c’étaient surtout les cyberattaques – dont les origines sont parfois difficiles à déterminer – qui faisaient l’objet d’une attention croissante de la part des entreprises et des institutions financières. En mars 2022, la Banque centrale européenne (BCE) rappelait que les risques liés à la cybersécurité étaient restés un sujet d’inquiétude majeur pour le secteur bancaire en 2021. Deux semaines avant l’invasion de l’Ukraine, la BCE alertait sur la menace imminente de cyberattaques russes.

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