Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022). Amélie Férey, chercheuse au Centre des études de sécurité à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jacques Bendelac, Les années Netanyahou. Le grand virage d’Israël (L’Harmattan, 2022, 304 pages).

Face à l’énigme de la longévité politique exceptionnelle de Benjamin Netanyahou – en partie liée à l’absence de limitation du mandat exécutif –, que vient de confirmer le résultat des dernières élections législatives d’Israël, ce livre vient à point nommé. Jacques Bendelac livre une analyse détaillée de la pensée politique de Natanyahou : un libéralisme économique débridé ; l’accent sur la religion – 14 % des heures de cours des jeunes israéliens sont ainsi consacrées à l’enseignement religieux – ; une méfiance institutionnalisée envers les minorités non juives – l’adoption de la loi « Israël comme État nation du peuple juif » en 2018 introduit par exemple une distinction entre citoyenneté et nationalité, réservée aux citoyens juifs – ; et une position forte sur la défense. L’auteur décrit également quelques piliers du « bibisme » : outre la volonté de s’assurer du soutien indéfectible des États-Unis, sa pratique du pouvoir s’appuie sur sa proximité avec des milliardaires, pour laquelle il est mis en cause aujourd’hui, et un soutien opportunément médiatisé de la part de sa famille : le « clan Netanyahou ».

Le livre propose plus largement un portrait argumenté d’Israël au regard de la politique menée pendant près de douze ans. Le bilan du libéralisme économique laisse songeur : le recul marqué des services publics et le mince filet de protection sociale, qui n’a pas permis d’absorber pleinement le choc de la pandémie de Covid-19, sont autant d’indicateurs de la situation sociale difficile dans laquelle se trouve le pays. En outre, le « moteur » de la start-up nation semble grippé, avec seulement 520 start-ups créées en 2020 contre
1 400 en 2014, conséquence d’une baisse d’investissement de l’État dans le secteur, qui se limite à 10 % en 2020.

Plus inquiétant encore, la quatrième partie de l’ouvrage décrit les attaques répétées contre l’état de droit, qui ont pour effet de rapprocher Israël des démocraties illibérales. La remise en cause de l’indépendance de la justice – Netanyahou s’apprête à former une coalition avec Bezalel Smotrich qui déclare vouloir nommer les juges sur proposition parlementaire –, le déclin des syndicats et les relations tumultueuses avec les médias interrogent sur la survie de contre-pouvoirs efficaces.

La lecture de cet ouvrage est donc indispensable pour qui veut comprendre les ressorts d’Israël contemporain. On regrettera cependant que n’y figure pas une analyse plus fouillée de la vision géopolitique de Netanyahou. Enfin, le choix d’adopter le seul prisme de l’homme politique personnalise le propos. En raisonnant de manière contrefactuelle, l’offre politique israélienne serait-elle différente si Bibi ne s’était pas destiné à la carrière politique ? Les cinq dernières élections ont montré l’ascendant pris par la droite israélienne, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ne faisant que reprendre de manière plus vindicative les arguments développés par Netanyahou, lui-même se plaçant dans la filiation du mouvement révisionniste de Jabotinsky : une politique nationaliste, un engagement pour le « Grand Israël » et un libéralisme économique aux antipodes du socialisme qui a prévalu lors de la création d’Israël.

Amélie Férey

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