Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage d’Élie Barnavi, Confessions d’un bon à rien (Grasset, 2022, 512 pages).
Par-delà un titre qui témoigne du sens de l’autodérision de l’auteur, ce livre permet de mieux comprendre, à travers le parcours d’Élie Barnavi, l’évolution de la société et de la politique israéliennes, de même que la relation souvent difficile avec la France, sa « seconde patrie affective et intellectuelle ».
Cette autobiographie est sans complaisance, reflétant les engagements professionnels et politiques d’un universitaire et une évolution qui l’a conduit de la Roumanie où il est né, à Israël puis à Montréal, Bruxelles et Paris. Sa scolarité au collège Saint Joseph des Frères des écoles chrétiennes de Jaffa l’aura fortement marqué. Il se voit comme un « animal politique » qui fera sa carrière à l’ombre du Parti travailliste tout en ne ménageant pas les critiques à son égard comme à celui de nombre de ses dirigeants. On notera les jugements sévères de l’auteur, qui était pourtant un Peres boy, sur Shimon Peres, dénonçant son intellectualisme, sa responsabilité dans la colonisation des territoires occupés, voire « son imbécillité » et son goût démesuré du pouvoir.
Sa vision de la société israélienne est également sans complaisance. « Le traumatisme de la Shoah, l’affrontement séculaire avec un environnement hostile et l’osmose entre la société et son armée ont fini par produire une nation militarisée jusqu’à la moelle » ; « ce militarisme sociétal et culturel » étant « généralement associé à un nationalisme ombrageux et exclusif ». Tout en se disant européen, l’auteur souligne que la société israélienne est de plus en plus méditerranéenne.
Le chapitre le plus intéressant est certainement celui qu’il intitule de façon quelque peu provocatrice : « Ambassadeur de Sharon ». Élie Barnavi, travailliste engagé qui n’est pas un diplomate de carrière, est nommé en 2000 ambassadeur à Paris par Ehud Barak, alors Premier ministre. Quand Ariel Sharon lui succède, il le maintient à son poste malgré les pressions de l’entourage car « il fait du bon boulot ». Barnavi fait d’ailleurs de ce personnage controversé un portrait plutôt favorable : « C’est un laïc sans complexe… brillant stratège… courtois, de contact facile, non dénué d’humour ». La séduction est réciproque. La prolongation de la mission à Paris étant d’autant plus surprenante que l’auteur avait vu sa nomination comme une « punition »…
L’auteur fait d’ailleurs peu de cas du métier d’ambassadeur qui, selon lui, « est devenu un VRP de luxe ». Il constate que le service le plus fourni de l’ambassade est l’antenne du Mossad, sur laquelle il n’a aucune autorité. Pour lui, « la politique étrangère d’Israël se décide au ministère de la Défense… », le ministère des Affaires étrangères étant « réduit à une coquille vide ». On sent cet ambassadeur mal à l’aise avec la politique du président Chirac et le contexte de l’époque. Sans indulgence pour sa politique arabe qu’il qualifie de « désastre diplomatique et moral », il juge sévèrement nombre de ses interlocuteurs d’alors, qu’il s’agisse d’Hubert Védrine et du Quai d’Orsay taxé d’antisémitisme, de la presse, des Églises catholique ou protestante. Il avoue d’ailleurs ne pas avoir été heureux pendant cette mission de trois ans.
De retour en Israël, il s’inquiète de l’évolution du pays où il ressent une « étrangeté familière ». Sa conclusion frappe par son pessimisme : « Je vois, aux marges de ce monde, mon peuple titubant, les yeux grands fermés, vers l’abîme où l’attendent l’apartheid ou la guerre civile, au choix ». Souhaitons qu’Élie Barnavi se trompe !
Denis Bauchard
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