Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2023 de Politique étrangère (n° 1/2023). Arnaud Grivaud propose une analyse croisée de l’ouvrage de Guibourg Delamotte, La démocratie au Japon, singulière et universelle (ENS éditions, 2022, 340 pages).

Photographie de Ryo Yoshitake (Unsplash), buildings au Japon.

L’objectif général de cet ouvrage est de montrer que le système politique japonais – comme ses homologues occidentaux – suit des tendances universelles le rattachant indubitablement aux régimes démocratiques, au-delà de ses singularités. En se focalisant sur l’évolution des équilibres institutionnels, l’auteur met à distance les lectures culturalistes (largement décriées, mais récemment encore relayées par des auteurs non spécialistes du Japon), sans pour autant omettre les éléments relatifs à la culture politique du pays. L’ouvrage adopte un plan chronologique, suivant en quatre parties les grandes étapes de la démocratie japonaise.

La première partie (1889-1932) rappelle le processus de création d’institutions politiques modernes après la restauration de Meiji (chap. 1). Elle montre comment, au gré de l’évolution des rapports de force et des pratiques institutionnelles, le Japon a « effleuré la démocratie » (chap. 2). Néanmoins fragiles (chap. 3), les germes du parlementarisme et de la démocratie furent écrasés par la « dérive militariste du régime » (chap. 4).

Dans la deuxième partie (1955-1993), l’auteur remet en cause – comme bien d’autres avant – le caractère supposément « anormal » de la démocratie japonaise d’après-guerre. Bien que les réformes institutionnelles imposées par les États-Unis aient joué un rôle majeur dans la démocratisation du régime politique japonais, on rappelle ici que cette « greffe démocratique [a été] réalisée sur un terreau favorable » (thèse majoritaire dans la littérature scientifique) (chap. 5). L’absence d’alternance, loin d’être l’apanage du Japon, ne saurait annuler ce caractère démocratique. La domination du Parti libéral démocrate (PLD) est notamment due à sa capacité d’adaptation et de gestion de ses tensions internes ; le système électoral n’étant pas déterminant (chap. 6). Mais les forces du PLD sont aussi ses faiblesses (clientélisme, factionnalisme, etc.). Des causes endogènes et exogènes (crise économique, fin de la guerre froide, etc.) conduisent à l’effondrement de ce « système de 55 » (chap. 7).

La troisième partie fait état d’un « épanouissement démocratique », durant une période (1994-2009) marquée par de nombreuses réformes institutionnelles. La scène politique se recompose (chap. 8), et tend progressivement vers un bipartisme (chap. 9). Les relations entre la majorité et l’opposition s’en trouvent modifiées (chap. 10), tout comme celles entre le gouvernement – aux pouvoirs renforcés – et sa majorité. Le régime parlementaire japonais se rapproche ainsi du modèle de Westminster (chap. 11).

La quatrième partie insiste enfin sur les failles de cette « démocratie en transition » : le choix des citoyens dans la désignation des gouvernants n’est que partiellement décisif (chap. 12), et le Japon fait face à des crises de gouvernance (chap. 13) et de représentation (chap. 14) – comme toutes les démocraties, mais parfois de façon plus prononcée. Enfin, la société civile, bien qu’assez faible, tendrait à jouer un rôle grandissant (chap. 15).

Au-delà de quelques erreurs mineures, s’impose le sentiment que les critères généraux des théories de la démocratie, s’ils permettent de raccrocher le cas japonais à de grandes typologies (nécessairement artificielles), sont moins utiles à sa compréhension que ne l’est l’étude détaillée de ses mécanismes. Sur ce dernier point, l’ouvrage est clair, documenté et propose nombre de données pertinentes.

Arnaud Grivaud

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