Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2023 de Politique étrangère (n° 3/2023). Sébastien Jean propose une analyse de l’ouvrage de Patrick Artus et Olivier Pastré, De l’économie d’abondance à l’économie de rareté (Odile Jacob, 2023, 192 pages).

Notre époque n’est avare ni en crises ni en rebondissements. Ces dernières années ont en particulier été marquées par des développements économiques majeurs et souvent imprévus, comme la remarquable résistance des économies à la crise du Covid-19, la résurgence de l’inflation ou les changements de comportement des travailleurs dans beaucoup d’économies avancées. Sur fond de guerre en Ukraine et d’aggravation de l’urgence climatique, mais aussi d’interventionnisme plus marqué de beaucoup d’États, il est difficile de ne pas en tirer une impression de rupture profonde, sans pour autant qu’elle soit facile à appréhender tant les bouleversements concernés sont nombreux et protéiformes.

Cet ouvrage s’efforce de décrire ces ruptures, offrant un tour d’horizon de questions économiques très variées, depuis les dettes publiques et l’inflation dans les économies européennes jusqu’aux perspectives démographiques et financières en Afrique. Parmi ces nombreuses ruptures, Patrick Artus et Olivier Pastré considèrent que la plus importante est le passage d’un monde d’abondance à un monde de rareté, mettant en avant le travail (« grande démission » aux États-Unis, exigences plus marquées en Europe), les matières premières (qu’elles soient alimentaires ou minérales) et l’énergie (dont la guerre exacerbe les tensions, sur fond de transition urgente). Ils proposent un tour d’horizon des pièces du nouveau puzzle économique, parfois déconcertant, qui s’offre à nous dans un environnement chamboulé.

La démarche est stimulante en ce qu’elle amène à réfléchir de façon globale aux multiples transformations en cours et à leurs prolongements potentiels. Son intérêt réside d’ailleurs probablement plus dans ce questionnement que dans les réponses avancées, qui sont souvent posées sans réelle démonstration, comme un prolongement logique des tendances récentes. Car s’ils se défendent de toute prévision, les auteurs privilégient un scénario assez typé, marqué par des pressions inflationnistes durables se traduisant par des taux d’intérêt restant élevés non seulement en termes nominaux mais également en termes réels, tandis que la transition écologique augmenterait fortement et durablement le prix de l’énergie. De nombreuses tensions s’ensuivent, dans les économies avancées en raison des conséquences distributives de telles évolutions, et au niveau international du fait des menaces sur la situation financière des économies émergentes – on serait tenté d’y ajouter les tensions géopolitiques, mais ces questions sont peu évoquées, pour rester sur le terrain économique.

Pour plausible qu’elle soit, cette approche paraît bien déterministe. Certains des développements les plus récents, comme les pressions intermittentes à la baisse du prix du pétrole, les tensions déflationnistes en Chine ou la hausse continue du taux d’emploi aux États-Unis, devraient pourtant inciter à se défier d’une extrapolation des dernières inflexions.

L’ouvrage commence à juste titre par rappeler à quel point les anticipations formulées lors de la crise du Covid-19 se sont trouvées déjouées par la suite. Si proposer une remise à jour de la vision de l’économie à venir est faire œuvre utile, l’ampleur de l’incertitude inhérente à une telle tâche mériterait d’être mieux soulignée, pour pointer inconnues et questions en suspens.

Sébastien Jean

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